L’étrange décision de Myriam El Khomri sur Air France
Le 8 août dernier, la ministre du Travail a fait savoir par communiqué qu’elle validait le licenciement d’un délégué syndical accusé d’avoir participé à l’arrachage de la chemise de Xavier Broseta, DRH d’Air France.
La ministre Myriam El Khomri a confirmé le licenciement d’un délégué syndical CGT d’Air France. Personne n’a vraiment tiqué à l’annonce de cette information. Cette intervention a pourtant de quoi choquer tout citoyen normalement constitué, et ce pour plusieurs raisons. Si ce délégué a effectivement arraché la chemise d’un responsable de l’entreprise dans un environnement de violence inacceptable, le licenciement du salarié, délégué syndical ou non, ne devrait pas poser de question. Nous sommes nombreux à souhaiter savoir sur quels fondements l’administration de l’inspection du travail n’a pas validé la « faute grave ». Manque réel de preuves – malgré les images accablantes – ou complicité idéologique ? Si les preuves sont contestables, en quoi la ministre aurait davantage de compétences pour apprécier leur bien-fondé ?
Même avant le renforcement récent de leur pouvoir, les agents de l’inspection du travail disposaient de pouvoirs exorbitants. Leurs décisions peuvent mettre une entreprise en danger. Contre elles, les recours sont compliqués : recours gracieux auprès… de l’inspection du travail avant de s’adresser au ministère de tutelle puis au Tribunal administratif. Les alliés naturels des inspecteurs sont les délégués du personnel qui font le plus appel à eux. C’est d’ailleurs ce qu’on leur demande et ce qui motive leur surprotection. Jusqu’à un certain point. Brutaliser des cadres dirigeants et leur arracher leur chemise va très au-delà de la ligne rouge implicite. Mais alors comment croire que le jugement de l’inspection du travail à l’égard de ce délégué syndical – de tout délégué syndical – ne soit pas biaisé ? D’autant qu’on imagine sans mal ces fonctionnaires intrinsèquement hostiles au monde de l’entreprise. Leur mission consiste à inspecter et corriger les erreurs d’employeurs qui ne connaissent bien évidemment pas sur le bout des doigts les 3.500 pages du Code du travail, pas plus que les normes mouvantes – et interprétables avec une bonne dose d’arbitraire – d’hygiène et de sécurité.
Un fameux inspecteur du travail, Gérard Filoche, révèle les dérives possibles de cette administration quasi toute puissante. Militant anticapitaliste virulent – encarté à la CGT ainsi qu’à la LCR jusqu’en 1993 avant de rejoindre le PS -, il voit dans tout employeur un exploiteur coupable des pires maux qu’il faut harceler et persécuter. Lorsque le Directeur général du travail, Jean-Denis Combrexelle, rédige un rapport sur la modernisation du droit du travail, il le traite de « virus ebola du Code du travail ». Sympathique. Autre fait d’arme de cet inspecteur du travail lors de la disparition dans un crash d’avion de Christophe de Margerie, alors dirigeant de Total, sa déclaration en guise de condoléances : « les grands féodaux sont touchés. Ils sont fragiles. Le successeur nous volera-t-il moins ? ». Certes, les employeurs ont parfois des comportements inappropriés qui méritent un recadrage. Mais le jugement d’inspecteurs partageant pour nombre d’entre eux cette vision du monde de l’entreprise apparaît légitimement suspect.
Le jugement de la ministre vient en deuxième couche dans ce processus ambigu. Que vient faire un responsable gouvernemental dans ce domaine déjà bien trop politisé, pollué par l’idéologie de ses acteurs ? Imaginer que le sort d’un représentant syndical – par conséquent de la vie au sein de l’entreprise – dépende en dernier recours d’un ministre illustre bien la chape de plomb qui pèse sur l’entreprise, chape constituée par la connivence entre le monde syndical et le monde politique. La CGT s’est mal comportée avec le gouvernement ? Sanction et confirmation du licenciement. L’entreprise subit des jeux de pouvoir souterrains qui la dépassent et qui mêlent allégrement le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire et, ce que n’avait pas prévu Diderot – qui ne doit cesser de se retourner dans sa tombe –, le pouvoir de la bureaucratie.
Un recours judiciaire existe heureusement avec le recours auprès du Tribunal administratif, de la Cour administrative d’appel et du Conseil d’Etat, même si ce pouvoir indépendant n’a qu’une connaissance très parcellaire et théorique de l’univers de l’entreprise. Mais l’impression renvoyée par cette affaire de chemise arrachée, c’est que l’entreprise peut continuer à trembler devant l’arbitraire syndical et politique, la complexité et l’opacité des procédures qui lui sont hostiles.
Par Aurélien Véron, article paru dans atlantico le 8 août 2016
Stéphane Geyres
Excellent billet.