L’euro est irréversible, donc aussi la zone euro ?
Mario Draghi le répète le 8 mars, répondant à une question sur l’Italie après les élections : « l’euro est irréversible ». Il n’y a donc pas à s’inquiéter, même avec une croissance qui irait de 2,5% en 2017 à 2,4% en 2018, 1,9% en 2019 et 1,7% en 2020, et même si l’inflation atteindrait 1,7% seulement en 2020. « Confiance-persévérance-prudence », pour reprendre la trinité Draghi ! D’ailleurs, l’euro est assez fort : 1,23 pour un dollar. Pas à s’inquiéter… ?
Pourtant, le Brexit ne se passe pas bien. Les entreprises veulent que rien ne change, avec une frontière avec l’Irlande frictionless ! Certains conservateurs anglais voudraient très peu d’écarts avec l’Union, sauf ceux qui demandent une rupture. Et tous veulent se rabibocher avec les Etats-Unis et plus d’échanges avec la Chine ! Et la rupture est le 29 mars 2019 ! Des calculs comptables montrent que les entreprises britanniques devraient payer 30 milliards de taxes nouvelles et les entreprises européennes 35 milliards : celles-ci seraient donc moins affectées, compte tenu de leur poids relatif. Les secteurs touchés seraient l’automobile côté allemand, l’agriculture côtés allemand, français et irlandais et la finance, évidemment, côté britannique. Mais les entreprises réagissent déjà : ces calculs seront déjoués. Les chaînes de production seront changées dans l’automobile, peut-être au bénéfice de l’Espagne, et l’Allemagne devrait profiter des restructurations financières, aux dépens de la City. Un départ sans tensions n’est pas possible. Le Royaume-Uni pourrait alors attiser les divisions tant au sein de la zone qu’avec ses partenaires à l’Est. Stormy.
Pourtant, l’Italie se cherche une majorité politique, après les élections du 4 mars. Les marchés financiers restent tranquilles : la bourse résiste et les taux longs sont à 2%, car la dette publique est désormais majoritairement en mains italiennes (66%). Mais la croissance du pays reste à 1,6%, le taux de chômage à 11,1% et l’endettement à 132% du PIB, stabilisé depuis quatre ans. La population baisse, beaucoup de jeunes quittent le pays. La productivité est au niveau de 1990. L’investissement, même en reprise, est encore 20% au-dessous de l’avant-crise de 2007. Sans réformes puissantes, les exportations seront sous pression, donc la croissance et l’emploi. Pericoloso.
Pourtant la France rêve de « cagnotte » ! Eurostat vient d’accepter la proposition de Bercy de répartir sur deux ans le remboursement de la taxe à 3% sur les dividendes, jugée inconstitutionnelle. Le déficit sera de 2,8% en 2017 et 2018, la croissance serait de 1,9% en 2018 pour la Banque de France et 2,2% pour l’OCDE. Mais il n’y a pas à pavoiser : la loi de programmation des finances publiques prévoit que le solde budgétaire restera à -2,9% en 2019, pour aller à -1,5% en 2020, -0,9% en 2021 et -0,3% en 2022. Fin 2022, le ratio dette/PIB serait de 91,4%. Nous ne sommes pas sortis de l’auberge, avec 327 milliards d’euros de dépenses en 2017 et 235 de recettes ! Mais Brigitte Bourguignon, présidente de la Commission des affaires sociales à l’Assemblée, souhaite un « coup de pouce » à la prime d’activité et la relance des heures supplémentaires défiscalisées. Joël Giraud, rapporteur général du budget, réclame de « redistribuer une partie de cette bonne fortune fiscale ». Appeler « bonne fortune » la réduction du déficit renvoie à la « cagnotte » de Jacques Chirac, contre Lionel Jospin en 2000. Elle l’avait poussé à « la redistribuer » et pas à se désendetter, puis à perdre. Dangereux.
Surtout, l’Allemagne doit changer de stratégie : c’est d’elle que tout dépend. Sa croissance a été remarquable, avec ses exportations dans et hors de l’Union, plus la protection de l’Otan, en étant la plus fidèle alliée des États-Unis. Or l’Union et son marché ne sont plus aussi stables, le soutien américain à l’Otan moins assuré. Il va falloir que l’Allemagne investisse bien plus dans la défense (1,2% de son PIB contre 2,3% pour la France en 2016), dans ses infrastructures, et accepte un budget européen conséquent, pour assouplir les aléas de la conjoncture et préparer un ralentissement qui viendra, tôt ou tard. Achtung !
C’est bien d’être budgétairement vertueux ou vert, mais peut-être faut-il renforcer la démocratie, contre les cyber-attaques, russes ou autres. Les tensions montent partout, largement du fait des migrants venus d’Afrique, et ce n’est qu’un début. La zone euro doit regarder plus loin que le bout de son euro.
Jean-Paul Betbèze
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Jean-Paul Betbeze en 2014.
Jean-Paul Betbeze, né à Bagnères-de-Bigorre le 6 septembre 1949, est un économiste et professeur d’université français.