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L’Occident vs. Poutine : nouveau containment… en attendant le vrai reset

 

alex

A moins d’appartenir ostensiblement à une France pro-Poutine, qui est, à mon avis, révisionniste, raciste et idiote (au sens que Lénine donnait à l’expression « idiots utiles » qui désignait la cinquième colonne dans les pays capitalistes),* je pense qu’il y a un large consensus en Occident autour, au moins, de trois diagnostics sur la Russie d’aujourd’hui :

  1. le régime de ce pays est engagé dans une spirale autoritaire, liberticide et de plus en plus répressive (l’assassinat de Boris Nemtsov en est une illustration, à comparer avec celui de Sergueï Kirov en 1934, prélude aux grandes purges en URSS) ;
  2. la Russie viole, au grand jour, la loi internationale, sous l’emprise du « nihilisme juridique » qui transperce les siècles d’histoire russe (annexion de la Crimée, soutien aux séparatistes dans l’Est de l’Ukraine) ;
  3. Dans sa folle aventure de la reconstruction d’un Empire, la Russie étale son agressivité, allant crescendo, vis-à-vis des anciens pays de l’URSS qu’elle considère comme son « étranger proche ».

A partir de ces constats, il faut toujours garder à l’esprit que :

  • le « dossier Russie » engage un long terme qui façonnera la physionomie du XXI siècle ;
  • Poutine développe une stratégie bien au-delà des  aléas du quotidien, et ce, dans l’esprit – ni plus ni moins – de la théorie messianique de « Troisième Rome », selon laquelle la Russie a vocation à se substituer à un Occident sur le déclin, désuni, dépravé, paumé, incapable de se réinventer ;
  • dans le cadre de cette stratégie, où se télescopent des chimères sentant la naphtaline et des méthodes 2.0, Moscou ne mène pas seulement une guerre contre l’Ukraine, mais contre l’Occident tout entier et ses valeurs fondatrices (liberté, loi, tolérance, dignité individuelle, etc.), en multipliant ses provocations, sans hésiter à brandir la menace d’une intervention nucléaire (!).

Bref, il s’agit là d’une barbarie new look, à prétention globale. Elle se lance à l’assaut de l’Occident. Comme Daech.

Face à ces attaques russes (impensables il y a peu), l’Occident doit trouver la parade. Nous avons besoin d’une feuille de route, d’une vision. Pour être efficace, cette vision doit être globale, communément partagée par les pays libres. Ancrée dans des années, voire des décennies à venir. Quitte à aller à contre-courant du « politiquement correct » qui conditionne le moment présent.

Une référence historique y serait, sans doute, utile : George F. Kennan, diplomate et géopoliticien américain, inventeur visionnaire de la doctrine de containment, qui traçait la voie pour endiguer l’expansionnisme soviétique après la Deuxième Guerre mondiale.

Une référence au passé, certes, mais avec une précision essentielle : depuis l’époque de la guerre froide, le monde a changé de fond en comble. Ainsi, notre planète a basculé de la bipolarité idéologique, consubstantielle à la seconde moitié du siècle précédent, à la globalisation, la quintessence du XXI siècle. Globalisation comme interconnexion instantanée des êtres humains, des places géographiques et des idées qui circulent librement. Globalisation avec ses deux matrices originelles : primo, l’effacement de l’imprimé à la faveur du numérique ; secundo, la montée en puissance de nouveaux pôles d’excellence non-occidentaux (Chine, Inde, Brésil, Corée du Sud, Turquie, etc.) et cela, au détriment du « monopole de l’Histoire », détenu par l’Occident depuis la Renaissance.

Ce nouveau containment de l’Occident vs. la Russie de Poutine doit inclure trois axes.

1.      Sceller la solidarité occidentale.

 

Dans cet esprit, l’implication des Etats-Unis est une priorité non-négociable. Ce sont les Américains qui ont puissamment contribué à la victoire sur les totalitarismes nés sur le sol européen. Ce sont eux aussi qui ont payé pour la défense de l’Europe pour lui permettre de retrouver sa prospérité pendant les Trente Glorieuses.

Entendons-nous bien sur une chose : dans la tête de Poutine, dont l’horloge mentale s’est arrêtée aux années 1970, au moment de ses études au KGB, en pleine confrontation de deux blocs, la Russie (qu’il confond avec l’URSS) s’arrêtait, en gros, là où commencent les Etats-Unis, l’Europe étant vue par lui comme une quantité négligeable, un simple vassal à la solde des Américains.

Et même indépendamment de cette vision aberrante, il faut reconnaître que l’Amérique était et reste, en l’absence de hard power européen, le seul garde-fou capable de stopper quelqu’un qui ne comprend que le langage de la force.

Enfin, n’ayons pas peur d’enlever le tabou sur la perspective d’adhésion de la nouvelle Ukraine à l’OTAN. La géopolitique n’échappant pas à l’impératif de l’innovation, en ce début de nouveau millénaire, cette décision pourrait devenir l’acte refondateur de l’Alliance atlantique confrontée aux nouvelles menaces et le début de réinitialisation de l’architecture sécuritaire en Europe et à l’échelle globale.

2.      Favoriser le jeu de la démocratie en Russie

En prévision des législatives (prévues, d’après la Constitution russe, à la fin de l’année prochaine), il faut clairement miser sur l’opposition. Cette dernière, favorisée par une crise économique qui frappe la Russie, cherche actuellement à renaître sur ses ruines (probablement, autour de la personnalité charismatique du jeune Alexeï Navalny) et retrouver ses thématiques mobilisatrices, parmi lesquelles figure l’aspiration à l’Occident qui, malgré les apparences, reste prégnante au sein de l’intelligentsia et de nouvelles classes moyennes dans un pays historiquement tiraillée entre l’Asie et l’Europe.

3.      Le meilleur investissement en Russie est d’en faire un citoyen du monde, un acteur constructif de la globalisation

En surmontant les difficultés actuelles, il convient de garder le cap sur la Russie de demain, connectée au monde. Il faut mobiliser tous les moyens d’information, d’éducation et de pédagogie, à commencer par les réseaux sociaux, pour regagner les esprits et les cœurs de nouvelles générations russes, avides d’études et de voyages en Occident.

Non, l’Occident ne désespère pas de La Russie. Il n’oublie pas non plus le rayonnement que de nombreux génies russes ont exercé sur le cours de la civilisation humaine.

Vu sous cet angle, l’Occident, qui s’oppose au régime actuel dans ce pays, n’est pas antirusse, mais, au contraire, pro-russe, car il concourt à décloisonner l’avenir de la Russie dans le XXI siècle !

En conclusion, il est urgent de réinventer containment, ayant fait ses preuves dans le passé, mais en l’adaptant aux réalités du monde contemporain, post-communiste, global. Et préparer le terrain pour le nouveau reset, en espérant qu’il sera plus productif que sa version Obama qui a échoué.

Le premier pas sur ce long chemin est de sortir du fatalisme qui inhibe l’Occident quand il s’agit d’appréhender la Russie telle qu’elle est, et non à travers nos fantasmes et préjugés.  Autrement dit, transcender – enfin ! – une certaine vision de ce pays, comme s’il constituait une énigme éternelle, située quelque part entre Dostoïevski et Kalachnikov, entre peur et fascination, sur fond de notre totale ignorance des réalités russes.

Pour établir une nouvelle stratégie à long terme vis-à-vis de la Russie de Poutine, qui présente un danger pour la paix dans le monde, nous devons redevenir nous-mêmes. A savoir – l’Occident, qui pendant plusieurs siècles, grâce à son audace, ses innovations et ses valeurs humanistes, servait de phare à l’ensemble de l’Humanité.

Alexandre Melnik

Professeur de géopolitique à ICN Business School Nancy

Conférencier international

Auteur (notamment EBOOK « Reconnecter la France au monde. Globalisation, mode d’emploi », Atalntico-Eurolles, 2014 ; « Itinéraire d’un diplomate franco-russe. 20 ans après la chute du Mur de Berlin », L’Harmattan, 2009)

Ancien diplomate

*) « Ma Lettre à une France pro-Poutine » https://vudailleurs.com/?p=11488 lecercledesliberaux.com

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