L’UE se voue à la désindustrialisation Par Pierre Duval
La Commission européenne a fixé le prix de l’abandon du gaz russe et de la mise en place des panneaux solaires pour tous les bâtiments résidentiels et commerciaux. Cela nécessitera plusieurs milliards d’euros. Cependant, le coût réel d’une telle modification massive devrait être beaucoup plus élevé. L’Europe risque de perdre son industrie et de devenir une union agraire tout en profitant à certains.
La Commission européenne a estimé à 565 milliards d’euros le coût du non-emploi du gaz russe et le passage aux énergies renouvelables, rapporte Bloomberg. Selon ce plan, à partir de 2027, l’UE installera des panneaux solaires sur tous les bâtiments commerciaux et publics, et à partir de 2029, leur installation est prévue sur les nouveaux bâtiments résidentiels. Est-ce que l’UE réussira une telle réorientation énergétique et pourquoi risque-t-elle de perdre son industrie et de devenir une union agraire? C’est que ce nouveau plan laisse beaucoup à désirer. L’UE se trouve depuis l’été déjà dans une situation de choc pour son secteur énergétique. L’Europe doit remplacer le gaz russe plus tôt que prévu car le flux de gaz en provenance de Russie a déjà sérieusement diminué. Et, ce plan repose entièrement sur la production aléatoire d’énergie. L’économie européenne a besoin de gaz principalement en hiver pour la production de chaleur et d’électricité. Croire que pendant l’hiver les panneaux solaires vont produire de l’énergie est une idée exotique. Il y a souvent un temps nuageux et des heures de clarté courtes. Pour cet objectif, il sera nécessaire de construire une forte quantité de tels panneaux solaires, provoquant des investissements nettement plus importants que les 565 milliards d’euros annoncés. En été, la situation inverse se produira. Les panneaux solaires produiront trop d’électricité et il est très difficile de la stocker pour l’hiver.
L’énergie éolienne produit une production plus élevée en hiver et une production plus faible en été. Mais quel est leur problème? C’est le manque de place pour leur construction. Tous les bons emplacements sont déjà occupés par des parcs éoliens. Par conséquent, à mesure que le parc éolien se développe, le facteur d’utilisation global de la capacité installée n’augmente pas, mais diminue. Au début, il était en moyenne de 25%, mais il maintenant est inférieur à 10%. C’est-à-dire que plus il y a d’éoliennes construites, moins elles sont efficaces. Avec les panneaux solaires, la situation est à peu près la même. Le deuxième problème est l’imprévisibilité due à la météo. En 2020, 2021 et 2022, l’Europe a connu de très longues périodes (mois) sans vent, ce qui crée des risques.
Un autre problème est le réchauffement climatique en Europe qui peut affecter l’efficacité des énergies renouvelables. A la fin du printemps et pendant cet été en Europe, il y a eu une baisse record de la production de nombreuses centrales hydroélectriques en raison de la sécheresse. En France, depuis quelques années, une sécheresse est observée presque tous les deux ans. Il y a 30 ou 40 ans, un été sec avait lieu une fois tous les 10 ou 15 ans. En conséquence, l’Europe devra, peut-être, remplacer à court terme non seulement le gaz russe, mais aussi l’hydroélectricité. Au cours des dix dernières années, l’Iran a dû emprunter une telle voie. L’hydroélectricité y était autrefois l’épine dorsale du système énergétique, mais la sécheresse constante a réduit la capacité des centrales hydroélectriques. Dans le même temps, plus d’énergie était nécessaire, y compris pour l’approvisionnement normal en eau du pays. D’un point de vue économique, le nouveau système énergétique sera inefficace. D’une part, sa construction nécessitera des investissements bien plus importants qu’annoncés. D’autre part, les sociétés énergétiques recevront des revenus nettement inférieurs à ceux du marché traditionnel. Un nouveau système énergétique basé sur les énergies renouvelables ne pourra pas exister sans subventions.
L’UE omet dans son plan de reconversion énergétique l’une des conséquences les plus graves de l’abandon du gaz et du passage aux énergies renouvelables: la désindustrialisation de l’économie européenne et sa transformation en une économie agraire. Cela s’est produit en Ukraine. Maintenant, l’économie européenne est au tout début de ce processus, et elle a encore la possibilité de changer quelque chose. Mais, si ce mécanisme est lancé, il ne sera pas facile de l’arrêter.
Le plus grand constructeur automobile européen, Volkswagen (VW), a déjà averti qu’il déplacera sa production hors d’Allemagne si la pénurie de gaz dure plus longtemps que cet hiver. L’entreprise possède des installations de production en Chine et aux Etats-Unis, où les prix de l’énergie sont beaucoup moins chers qu’en Allemagne. VW peut subir une année des pertes en Allemagne, mais elle peut ensuite augmenter progressivement sa production en dehors de l’UE, tout en réduisant sa production au sein de l’UE.
Autrement dit, si les prix du gaz en Europe restent élevés pendant plusieurs années, les entreprises européennes commenceront à transférer leur production là où l’énergie est moins chère. Cela affectera non seulement les constructeurs automobiles, mais aussi des industries beaucoup plus énergivores – chimie, métallurgie des non-ferreux ou d’autres secteurs. De grandes multinationales déclarent déjà qu’elles réduisent leurs investissements en Europe et les augmentent en Amérique, où le coût de l’énergie est plusieurs fois inférieur.
A première vue, il peut sembler que la désindustrialisation soit une bonne chose car l’Europe va réduire la consommation d’énergie. Mais, le bien-être économique de l’UE repose sur son industrie. Si nous assistons à la dégénérescence de l’industrie, les Européens seront confrontés à une grave baisse du niveau de vie. De plus, il sera difficile de financer l’énergie verte vers laquelle l’UE veut passer. Un système d’énergie renouvelable est moins efficace qu’un système traditionnel et a besoin de subventions pour fonctionner. Alors, où est-ce que l’UE trouvera de l’argent s’il n’y a pas d’industrie?
Bien sûr, cela ne se fera pas du jour au lendemain, le processus sera long. Mais, l’essentiel est que l’Europe ne se nuise pas seulement sur le plan économique. Elle jouera également avec ses propres concurrents économiques. Alors que les capacités des usines en Europe perdront du poids, en Amérique et en Asie elles augmenteront. Pendant la crise énergétique des années 1970 et 1980, les Etats-Unis étaient dans la même grave crise énergétique que l’Europe mais la Chine n’existait pas encore en tant que puissance économique mondiale. Nous voyons maintenant qu’aux Etats-Unis, les prix de l’énergie sont plusieurs fois inférieurs à ceux de l’Europe, et une économie forte a émergé face à la Chine, où les prix de l’énergie sont également nettement inférieurs à ceux de l’Europe. Cela crée des opportunités pour le flux d’activité économique de l’Europe vers les Etats-Unis et la Chine, ce qui n’était pas le cas dans les années 70.
Les principaux bénéficiaires de toute cette situation en Europe et de son rejet du gaz russe sont les Etats-Unis et la Chine, mais aussi la Russie qui est en train d’adapter son marché ailleurs et autrement. Le marché européen des ventes se contractera sérieusement en raison de la désindustrialisation. L’idée de l’UE de «prendre la tête», de ce qu’ils nomment «de la troisième révolution industrielle» apparaît être un challenge hasardeux et dangereux pour les populations européennes surtout que la volonté de transformer l’économie et les sociétés de l’UE ne se réalise pas de manière naturelle, mais par l’imposition de lois coercitives ce qui ne peut pas fonctionner. Ces décisions s’orientent à partir de dogmes quasi religieux fixés sur la volonté de réduire «aussi rapidement que possible des émissions de gaz à effet de serre, d’adapter nos modes de vie, de production et d’échanges à la nouvelle donne climatique, en appelant à rompre en même temps avec les énergies du passé, ce qui inclut le nucléaire», alors que le nucléaire a, justement, fait la grandeur de la France comme son indépendance énergétique. En raison d’un nouveau mantra idéologique, les populations européennes sont poussées dans un cul-de-sac sociétal contrairement aux autres populations du reste du monde.
Pierre Duval
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