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Mais qu’est-ce qu’il foutait dans ce bordel ?! Par Jacques Attali

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Si, dans dix ans, il vous vient l’idée de faire le point sur la situation française en ce début d’année 2023, comme le font aujourd’hui de nombreux amis étrangers de la France, on aura du mal à comprendre pourquoi le pays s’est enflammé autour d’une retraite une réforme qui, pour nécessaire qu’elle soit aux yeux de ceux qui la proposent, n’est en aucun cas, pour qui que ce soit, la priorité absolue du pays ; et qui, par le débat même qu’elle entraîne (où tous les camps s’invectivent, s’insultent, mentent et caricaturent leurs positions), freine, voire rend impossible l’imagination de pouvoir se lancer dans les grandes réformes dont le pays a besoin tant et dont l’absence, dans dix ans, pèsera cruellement sur son destin.

Faut-il encore lister ces réformes ? Il est connu de tous ; elle fait même l’objet d’un consensus général, même si leurs modalités font l’objet de nombreux débats, qu’il serait urgent de mener :

Chacun sait qu’il faudra réformer radicalement notre système éducatif (plus inégalitaire que jamais, prolétarisant les enseignants et condamnant les jeunes issus des milieux populaires à des emplois dont ils ne veulent pas) ; notre système hospitalier (dont les carences sont chaque jour plus visibles, malgré les efforts magnifiques du personnel soignant) ; nos institutions (totalement inadaptées au monde moderne, avec un mandat présidentiel trop court, des parlementaires coupés de la vie municipale, des régions trop grandes, des citoyens écartés des grands débats) ; nos villes moyennes (qui regardent avec fureur les services publics disparaître) ; notre politique migratoire (qui n’ose pas non plus intégrer franchement tous les étrangers qui sont ici et qui ne demandent qu’à travailler, ni de fixer une limite claire au nombre de ceux que nous pourrons nous permettre de fabriquer nous-mêmes) ; la transformation écologique (dont chacun sait qu’il faudrait bien plus que des demi-mesures, pour réduire l’usage de la voiture particulière, augmenter le prix du carbone, réutiliser les eaux usées, éliminer les dérivés fossiles de toute la chaîne industrielle) la modernisation de l’agriculture (pour donner aux jeunes l’envie de retrouver ce magnifique métier très technique, dont dépend le respect de l’identité du pays) ; la relance de notre industrie (la situation dramatique de notre balance des paiements devrait nous rappeler chaque jour que c’est notre première urgence, car un pays sans industrie est condamné à un déclin très rapide). Et tant d’autres enjeux : simplification administrative et fiscale, (au profit des plus faibles) ;

En tout cas, personne n’aurait dû songer à inclure dans cette liste l’ajustement marginal des éventuels déficits, un jour lointain, de nos régimes de retraite ; et personne n’aurait dû rejeter l’analyse faite à ce sujet par les meilleurs experts expliquant qu’il n’y avait pas urgence.

Alors pourquoi ? Pourquoi mobiliser un Premier ministre de très grande qualité dans un débat aussi secondaire ? Pourquoi discréditer l’Etat et fragiliser la fin du quinquennat actuel par un tel choix ? Et si on voulait vraiment faire ce choix, pourquoi ne pas s’en tenir à la réforme déjà partiellement votée, beaucoup plus logique, introduisant un système par points ? Et pourquoi ne pas ouvrir la France à ce que tous les pays ont, et dont les Français veulent, au moins de manière complémentaire : une retraite par capitalisation ?

Je ne vois pas d’autre explication que celle-ci : on s’était promis de faire cette réforme, et on s’y est lancé parce que c’était apparemment la plus facile à faire. C’est un peu comme l’ivrogne qui cherche ses clés sous un lampadaire, non parce qu’il les a perdues là, mais parce qu’il y a de la lumière.
Le seul problème est que cette réforme s’est révélée extrêmement complexe, comme c’est évidemment le cas de toute réforme dans une société sophistiquée, où les réglementations et les lois sont le résultat de décennies, voire de siècles, de luttes sociales et de compromis politiques.

Il est temps de tourner la page. Soit en abandonnant, soit en forçant la sortie si on n’en a vraiment pas envie (vous devinez ma préférence). Dans tous les cas, passer au plus vite.

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