Molière : 400 ans après sa naissance, il n’a pas pris une ride
Ce génie français de la comédie a su créer des personnages qui n’ont pas vieilli.
Aujourd’hui, de ses premières farces composées dans les années 1650 à sa dernière comédie Le Malade imaginaire en 1673 qu’avons-nous?
Les tournées en province, sa fréquentation de la cour de Louis XIV, sans oublier son amitié avec Fouquet, Lully et Corneille et les origines de sa rivalité avec Racine, la création de l’Illustre Théâtre, sa première troupe en 1643. Les tournées juteuses à l’extérieur de la capitale, d’Agen à Lyon en passant par Montpellier. La concurrence avec l’Hôtel de Bourgogne et Le Marais. La première fois que Jean-Baptiste Poquelin signe Molière. Les grands succès : de l’Ecole des femmes au Tartuffe.
Il existe un mythe de Molière édifié sur un monceau de légendes : mari jaloux et malheureux d’Armande Béjart, d’humeur rêveuse et mélancolique, versificateur maladroit pour qui Corneille aurait servi de « nègre », acteur doué pour le seul jeu comique, malade consumé par ses mauvais poumons… Des générations de biographes ont colporté ces fables qui composent encore aujourd’hui son portrait.
Comment retrouver le Molière que ses contemporains ont connu?
Molière est un hyper-actif: il s’agite sur tous les fronts, il tient le rôle principal dans ses comédies, intercalées entre des séjours à Saint-Germain-en-Laye ou Versailles où il organise les divertissements royaux, s’intéresse de près à la publication de ses œuvres, et s’exprime abondamment dans des préfaces, réponses aux critiques, placets contre ses détracteurs.
La gloire commence à Vaux le Vicomte quand Molière compose dans l’urgence Les Fâcheux pour une somptueuse fête de Fouquet puis Molière est requis pour des commandes royales des réussites comme celle de L’École des femmes qui « fit rire Leurs Majestés / Jusqu’à s’en tenir les côtes ».Molière c’est un peu Louis de Funès. On salue sa capacité à donner l’illusion du naturel sous l’exagération comique, à « faire reconnaître les gens du siècle », écrit-il lui-même. Au risque de choquer les dévots, ceux-ci l’accusent d’obscénité, de blasphème, d’impiété. L’hypocrisie est chez lui un thème dominant et place Le Tartuffe dans la lignée des autres pièces : L’Avare, Les Précieuses ridicules, Le Misanthrope, Le Bourgeois Gentilhomme visant à peindre et ridiculiser un vice.
Il a le sens de la formule : «Couvrez ce sein que je ne saurais voir». Une réplique écrite pour son «Tartuffe», que l’on retrouve dans la bouche de son faux dévot : «Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées».
Molière est aussi un homme d’affaires habile qui alimente les querelles pour « créer le ‟buzz » » et prolonger les recettes au box-office. Ce faisant, il crée une stratégie de connivence avec son public , mondains de la ville et de la cour et ses cibles comiques : précieuses prudes, petits marquis snobs, poètes rivaux pédants.
On lui a reproché de n’être juste qu’un brillant compilateur ? Molière ne crée pas ex nihilo. Comédies italiennes, espagnoles, romans à la mode, arguments de ballets, fabliaux constituent son matériau. C’est l’inventivité du montage qui confine au génie. Molière construit des combinaisons originales de récits. Le Cocu imaginaire modernise le conflit père-fille de la tradition italienne des mariages arrangés. Le Mariage forcé inverse le schéma traditionnel en contraignant un vieux célibataire endurci à épouser une jeune coquette. L’École des maris défend la libération de la femme.
Molière a subi jusqu’au bout la vindicte des religieux : deux prêtres de la paroisse voisine ont refusé de se déplacer pour lui donner les derniers sacrements, le troisième est arrivé trop tard, de sorte qu’il est mort sans confession, et devra être enterré sans pompe « avec deux prêtres seulement et hors des heures du jour ». Mais l’amour du public triomphe, des centaines d’admirateurs suivent son convoi funèbre à la lueur des flambeaux.
Quatre cents ans après sa naissance Jean-Baptiste Poquelin reste un monument national, alors, après Joséphine Baker, pourquoi pas Molière au Panthéon ?