Motion de censure et budget : Explications de Mélody Mock-Gruet
Cet après-midi, une motion censure risque d’être votée, renversement le Gouvernement de Michel Barnier. Alors que nous nous trouvons déjà dans une situation inédite avec la configuration de l’Assemblée nationale morcelée en trois blocs, nous pourrions nous trouver dans l’inconnu concernant des textes budgétaires. En outre, même si le Gouvernement n’est pas renversé aujourd’hui, son sort restera en suspend lors des prochains jours, notamment à cause du prochain texte budgétaire (le PLF).
Quelle est la motion de censure discutée aujourd’hui ?
– C’est une motion de censure provoquée par l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le PLFSS (article 49 al3).
– Si la motion est votée, le Gouvernement est renversé (il doit démissionner article 50 de la Constitution) et le texte est rejeté par l’Assemblée nationale.
– Ce mécanisme est à différencier de la « motion spontanée » (article 49 al2), qui n’est liée à aucun texte particulier. Elle peut être déposée par 58 députés à tout moment mais a une limitation particulière : un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure spontanées au cours d’une même session ordinaire et de plus d’une au cours d’une même session extraordinaire.
– Les motions NFP et RN font l’objet de discussion commune à partir de 16h mais elles seront votées séparément en début de soirée. Les députés des différents groupes prennent la parole dans l’Hémicycle, le temps imparti étant attribué pour la moitié aux groupes d’opposition, repartis en fonction de leur importance numérique ; le Gouvernement prend la parole en dernier.
– La comptabilisation des votants est un point central : seuls les députés favorables à la motion prennent part au vote ; l’abstention vaut soutien au Gouvernement. 288 (et non 289) votes sont nécessaires pour censurer le Gouvernement (2 sièges étant actuellement vacants).
– Le bulletin ne comprend qu’un vote : le POUR avec un code barre.
– Les délégations de vote peuvent être autorisées en Conférence des présidents, ce qui veut dire que des députés non présents peuvent également voter. Mais un député ne peut détenir qu’une seule délégation de vote.
– Cette fois-ci, si le groupe RN additionne ses 124 voix aux 192 voix du Nouveau Front populaire (soit 316 voix au total ou 332 avec UDR), la motion du NFP pourrait être adoptée ce soir.
– La seule motion qui ait reçue un vote favorable sous la Vème République reste, pour l’instant, celle 5 octobre 1962, renversant le Gouvernement Pompidou. La majorité souhaitait en effet marquer son désaccord envers le Président de la République, le général de Gaulle, et sa réforme introduisant l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.
Que se passe-t-il si le Gouvernement est renversé ?
– A la différence de 1962, le Président de la République ne peut pas dissoudre l’Assemblée nationale avant juillet 2025.
– Constitutionnellement, le Président de la République décide de la nomination du PM (prérogative de l’article 8 de la Constitution).
– Il peut renommer le Gouvernement actuel (mais gros risque de motion de censure spontanée qui renverse à nouveau le Gouvenement).*
– Il garder le Gouvernement de Michel Barnier démissionnaire le temps au moins que la France se dote d’un budget. Ce dernier serait en capacité de gérer les affaires courantes, mais également d’accomplir les actes relevant de ce que commande l’urgence (avis du Conseil d’Etat en 2017). Alors qu’un Gouvernement démissionnaire ne peut en théorie porter un projet de loi ou un budget, il pourrait dans cette situation exceptionnelle être amené à élaborer un projet de loi spéciale budgétaire, mais ne pourrait pas remettre en jeu sa responsabilité
– Le PR peut également décider de choisir rapidement un nouveau PM. En revanche, son choix aura un impact politique encore plus important que lors de la nomination de Michel Barnier. Il doit trouver quelqu’un qui ne se fera pas censurer trop rapidement s’il ne veut pas que les partis politiques pointent du doigt sa responsabilité et demandent sa démission. Dans une Assemblée atomisée, les nouvelles options gouvernementales sont extrêmement limitées. Le Président doit trouver un point d’équilibre entre de nouvelles alliances politiques qui ne soit pas une impasse, ou un gouvernement technique qui serait plutôt limité dans les faits à de la gestion des affaires courantes.
Que se passe-t-il pour le budget de la sécurité sociale ?
– Si la motion de censure est votée, le PLFSS est rejeté par l’Assemblée nationale. Le Gouvernement pourrait décider de continuer la navette mais cette option semble peu probable au vu de son engagement de responsabilité.
– La structure et les mécanismes du PLFSS sont différents du PLF. Concernant le budget de la sécurité sociale, il n’y a de dispositif équivalent à l’alinéa 4 de l’article 47 prévu (loi spéciale). En outre, depuis 1996, tous les PLFSS ont été adoptés. Il n’y a donc pas de précédent.
– Les objectifs de dépenses des branches ne sont pas contraignants. Certains dispositifs existants sont déjà codifiés et ne sont pas juridiquement liés par le principe d’annualité. Par exemple, sans PLFSS, la loi prévaut et en vertu du code de la Sécurité sociale, que les retraites de base seront revalorisées début janvier sur l’inflation constatée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) pour 2024.
– Plusieurs problèmes émergent tout de même comme l’absence d’autorisation d’emprunt pour l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss). Chaque année, le PLFSS prévoit le plafond des emprunts que l’Acoss est autorisée à réaliser, pour parvenir à financer les prestations. Il faudrait alors peut-être qu’une loi autorise à relever ce plafond. De même pour la CSG (55% des ressources de la sécurité sociale). Il serait d’ailleurs envisagé par le Secrétariat du Gouvernement d’ajouter trois articles supplémentaires à cette loi pour permettre à l’Etat et à l’Ursaff de lever de la dette et sécuriser les financements de la France à l’Union européenne.
Que recouvre l’hypothèse d’une « loi spéciale » pour voter le budget ?
– Faute de loi de finances au 1 er janvier 2025, il n’y aurait plus en effet d’autorisation de percevoir l’impôt, plus de dépenses publiques, plus d’autorisation d’emprunt… L’article 47 de la Constitution permet d’éviter un « shut-down » à l’américaine.
– L’examen du PLF doit normalement se poursuivre jusqu’au 12 décembre au Sénat (vote solennel sur l’ensemble du texte). Suivrait ensuite une CMP qui pourrait se tenir le 16 décembre. Le 18 décembre, l’Assemblée nationale devrait alors, soit se prononcer sur les conclusions de cette CMP, soit procéder à une nouvelle lecture si la CMP n’était pas conclusive. Etant donné la situation actuelle, l’adoption du PLF semble compliquée.
– La possibilité d’une « loi de finances spéciale » est prévue (article 47 al.4 de la Constitution et article 45 de la LOLF). Au vu de la situation, il est possible qu’une majorité soit trouvée à l’Assemblée nationale pour voter un tel texte.
– La loi spéciale aurait pour objectif d’autoriser le prélèvement des impôts et répartir par décret les crédits correspondants à l’exercice 2024. Elle n’indexerait sur l’inflation ni le barème de l’impôt, ni les crédits. Elle ne permettrait pas les 60 milliards d’économie espérés par le gouvernement et reporterait diverses mesures (notamment en faveur de l’agriculture, de la défense et du logement).
– Ce texte doit être déposé avant le 19 décembre, mais le Conseil constitutionnel pourrait accepter un délai supplémentaire pour « assurer la continuité de la vie nationale » qu’il appartient aux pouvoirs publics d’assurer « de toute évidence ».
– Il peut être amendé pendant sa discussion en procédure accéléré (aucun amendement en 1979 n’avait été adopté).
– Le projet de loi spéciale ne dispenserait pas du vote d’une loi de finances 2025 en bonne et due forme au cours de l’année 2025 (mais il faut trouver une majorité pour la voter) ou un projet de loi rectificatif modifiant la situation budgétaire par la suite.
– 2 précédents :
· En 1962 (suite à la dissolution), le Gouvernement a fait adopter par le Parlement une loi partielle contenant la première partie, promulguée le 22 décembre 1962. La seconde partie fut promulguée dans une loi le 23 février 1963.
· La loi spéciale a été utilisée par le Gouvernement Raymond Barre, lorsque le 24 décembre le PLF pour 1980 avait été annulé par le Conseil Constitutionnel.
Face à la crise budgétaire, Emmanuel Macron peut-il décider de déclencher l’article 16 de la Constitution lui conférant les « pleins pouvoirs » ?
– Avec l’article 16 de la Constitution, le Président concentre à lui seul les pouvoirs exécutif et législatif lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu. La seule application de l’article 16 a eu lieu en 1961 par le Général de Gaulle lors du putsch des généraux d’Alger.
– Il y a peu de chance que le Président utilise cet article à cause d’une crise budgétaire. Mais il faut avoir à l’esprit que même si les conditions ne sont pas réunies, le Conseil d’Etat s’est déclaré incompétent pour contrôler la décision déclenchement de l’article 16 (CE, 1962, Rubin de Servens). Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Conseil Constitutionnel pourrait se prononcer au bout de 30 jours s’il est saisi par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs.
Le Petit Guide du Contrôle Parlementaire
de Mélody Mock-Gruet et Hortense de Padirac
paru le 17 octobre 2023 aux éditions L’Harmattan