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Note relative à la procédure PLF 2025 Par Mélody Moch-Gruet

 

Depuis deux ans, avec la majorité relative, les lois de finances pour 2023 et pour 2024 ont été adoptées grâce à ce « 49.3 », une procédure qui n’avait pas été utilisée depuis trente ans pour une loi de finances (1988-1993). Mais la menace d’une motion de censure pourrait être beaucoup plus forte à l’automne prochain, si, par exemple, les voix du RN et de LFI devaient s’additionner pour faire tomber le gouvernement de Michel Barnier fondé sur une coalition fragile.

Le PLF est encadré par des règles constitutionnelles et par les dispositions de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : promulguée le 1er août 2001 et mise en œuvre pour le projet de loi de finances 2006, la LOLF remplace l’ordonnance du 2 janvier 1959 et devient la nouvelle constitution financière de l’État).

Lors de la présentation du PLF, le budget est dit « prévisionnel ». Le budget adopté en fin d’année pour l’année suivante est appelé « loi de finances initiale » (LFI). Au cours de l’année, le budget peut être « révisé », autrement dit il peut être modifié par une loi de finances rectificative (LFR). Lorsque l’année est écoulée, le budget est « exécuté ». Avant le 1er juin, la loi de règlement – ou projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année, depuis la loi organique du 28 décembre 2021 – permet d’apprécier la réalité de l’exécution des lois et d’identifier ainsi les écarts entre ce qui a été autorisé et ce qui a vraiment été effectué. Le projet de loi de règlement de l’année 2022 a été rejeté par l’Assemblée nationale, le 5 juin 2023, et par le Sénat le 3 juillet 2023.

 Scénario possible –       2ème partie du PLF non examinée par l’AN (soit rejet de la 1ère partie, soit problème de délai mais au vu de la stratégie NFP cela semble moins probable)–       Texte adopté au Sénat où Barnier a le plus de soutien. PLF adopté–       Commission mixte paritaire (CMP)–       Puis utilisation d’un 49 al3 sur l’ensemble du texte post CMP pour le faire adopter (comme les retraites) avec idée d’un 49 al3 de compromis (amendements différents bords dont du RN)  Le mieux serait pour le Gouvernement : vote de la motion de rejet à l’AN. Le Gouvernement a l’air de sous-entendre l’utilisation du 49 al.3 dès la première partie pour faire adopter le texte. Mais s’il le dépose trop tard dans les débats et n’a pas négocié notamment avec le RN, il y a de fortes chances pour que le RN vote la motion de censure provoquée. On serait alors en Gouvernement démissionnaire pour faire passer le budget. Situation inédite. Mais le texte pourrait continuer et même être validé par le CC du fait de l’urgence pour éviter le shutdown.

La question du « shutdown »

–       Situation où l’État se retrouve sans les fonds nécessaires pour fonctionner normalement.

–       L’important serait d’assurer l’acceptation par le Parlement de la première partie de ce texte, qui autorise et conditionne la levée de l’impôt pour l’année à venir.

–       En cas de rejet d’une telle disposition, c’est la marche même de l’État et au-delà d’une grande part des administrations publiques qui s’arrêterait. Sans impôt, plus de politiques publiques, plus de fonctionnement des administrations publiques. 

Le calendrier du PLF

–       Le PLF est déposé au plus tard à l’Assemblée nationale le premier mardi d’octobre, en l’occurrence cette année, le mardi 1er octobre 2024.[1] Cela implique une présentation en conseil des ministres a priori le mercredi 26 septembre. 

–       Pourtant, le Gouvernement n’ayant pris ses fonctions que le 21 septembre, la présentation du PLF a été décalé au 10 octobre, soit avec neuf jours de retard sur le calendrier défini par la loi.

–       La discussion de la première partie du projet de loi de finances (PLF) aura lieu du lundi 21 au vendredi 25 octobreLe vote solennel sur l’ensemble de la première partie aura lieu le mardi 29 octobre à l’AN, après les questions au Gouvernement.

–       L’examen de la seconde partie du PLF pour 2025 débutera le mardi 5 novembre au 18 novembre. Le vote solennel sur l’ensemble du PLF aura lieu le mardi 19 novembre, après les questions au Gouvernement.

–       21 novembre : fin du délai constitutionnel de 40 jours pour l’examen en 1ère lecture de l’AN

–       21 décembre : fin du délai de 70 jours accordé au Parlement pour s’exprimer définitivement

–       Le PLF doit être adopté avant le 31 décembre.

–       Au Sénat, vote de l’ensemble du PLF le 12 décembre.

PLF en commission ·      1857 amendements (40% de moins que l’année dernière)·      45 amendements à l’heure·      3 jours de débats·      199 amendements adoptés. Amendements votés par le NFP et le RN·      Le texte amendé : 60 milliards de recette en plus : : fiscalité sur les super profits, sur les super dividendes, renforcement de la taxe sur les rachats d’action, doublement de la contribution exceptionnelle des grandes entreprises de transport maritime.·      Résultat : matraquage fiscal, 3 fois le niveau d’impôt de 1981. Ma France a déjà le taux de prélèvement obligatoire le plus élevé de l’OCDE·      Texte rejeté : 22 pour le texte (NFP) et 29 contre (DR, EPR, HOR, Modem, Liot, RN, UDR)·      Position du RN intéressante : Jean-Philippe Tanguy en explication de vote lors de la commission des finances : le gouvernement et la majorité n’ont rien négocié. Le RN reste un parti d’opposition : ne peut pas s’engager pour un vote pour. A voté contre en commission. Mais ça peut être abstention.·      Le texte n’aurait pas été celui de la commission de toute manière (cas particulier PLF réforme de 2008) 

Si les députés votent contre la 1er partie, l’étude du PLF s’arrête à l’AN et le texte transmis au Sénat sera celui du Gouvernement (texte initial).

En séance publique ·      3496 amendements (avant traitement) (plus de 10 000 pour le PLF 2024)·      271 RN·      516 EPR·      LFI 351 (1400 en 2024)·      PS : 472·      DR : 728·      MODEM 128·      Ecologistes 224·      Horizons 184·      Liot 359·      GDR 108·      UDR 88 Le socle commun (députés appartenant au groupe majoritaire) a déposé le plus d’amendements.LFI a changé sa stratégie, pour éviter l’obstruction. Objectif sûrement : éviter de dépasser les délais constitutionnels ou en tout cas en être responsable. 

Le cas de l’enlisement des débats au Parlement 

–       L’alinéa 3 de cet article 47 dispose ainsi que « si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de 70 jours, les dispositions peuvent être mises en vigueur par ordonnance ». Cet alinéa n’a jamais été mis en œuvre depuis 1958. Mécanisme du parlementarisme rationnalisé.

–       L’AN doit se prononcer en 1ère lecture dans un délai de 40 jours après le dépôt d’un PLF ; à défaut le gouvernement saisit le Sénat qui doit alors statuer dans un délai de 15 jours. Et si le Parlement ne s’est pas prononcé dans les 70 jours, le Gouvernement peut mettre en œuvre les dispositions par voie d’ordonnance. 

–       Cette procédure renvoie à l’histoire constitutionnelle allemande vers 1860 : les députés libéraux ont rejeté le budget et Bismarck avait décidé de passé par ordonnance royale.

–       Ce type d’ordonnance n’a pas été créé pour contourner un vote de rejet du projet de loi de finances par le Parlement ! Il peut être utilisé en cas d’enlisement des travaux parlementaires, c’est-à-dire si au bout de 70 jours le Parlement n’a ni adopté définitivement le projet de loi de finances ni rejeté définitivement celui-ci. Ces ordonnances n’ont pas à être soumises à la ratification du Parlement. En contrepartie, elles restent des actes administratifs signés par le Chef de l’État. Les ordonnances de l’article 47 n’ont pas « force de loi ». Selon la doctrine, les ordonnances budgétaires constituent un type sui generis par rapport aux autres catégories d’actes instaurés par la Constitution de 1958.

–       Problème : le Conseil Constitutionnel n’est pas compétent pour juger de la constitutionnalité d’un acte réglementaire. On peut se demander si le Conseil d’État l’est, sachant que, en théorie, il ne l’est pas forcément pour un acte de haute administration ou acte de gouvernement. En revanche : les ordonnances de l’article 47 devraient respecter l’expiration des délais, mettre en vigueur toutes les dispositions du PLF soumis au Parlement, y compris les amendements adoptés par ce dernier et sans modification, sinon les ordonnances encourraient la censure du juge administratif pour excès pouvoir. 

Pour anticiper le blocage, une loi de finances spéciale de perception des recettes

–       Sous les IIIe et IVe République, le Parlement (où les discussions budgétaires s’éternisaient) s’est retrouvé dans l’impossibilité d’adopter le PLF initial pour l’année à venir. D’où le recours à la fameuse procédure des « douzièmes provisoire » consistant à ce qu’un budget partiel, préparé en hâte soit provisoirement exécuté : Entre 1878 à 1934, cette technique a été utilisée 32 fois. 

–       Si le dépassement de calendrier est imputable au gouvernement, c’est l’alinéa 4 de l’article 47 de la Constitution qui s’applique. « Si la loi de finances fixant les ressources et les charges d’un exercice n’a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice, le gouvernement demande d’urgence au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés », indique cet alinéa. (Article 45 de la LOLF également)

–       Le cas s’est déjà présenté à l’automne 1962, lorsque à la suite du renversement du gouvernement de Georges POMPIDOU, l’Assemblée nationale avait été dissoute début octobre par le général de GAULLE. La nouvelle assemblée élue fin novembre n’avait alors pas le temps de se livrer à un examen complet du PLF pour 1963.Ainsi, par exemple, en 1962, le Gouvernement Pompidou a fait adopter par le Parlement une loi partielle contenant la première partie de la loi de finances pour 1963 qui fut promulguée le 22 décembre 1962. La seconde partie fut promulguée dans une loi le 23 février 1963.

–       Ce gouvernement peut faire le choix de retarder le vote du projet de loi de finances pour 2025. L’article 45 LOLF prévoit que le Gouvernement peut, au plus tard, le 19 décembre 2024, demander au Parlement un vote séparé sur la première partie de la loi de finances 2025 qui l’autorise à continuer de percevoir les impôts existants et qui peut donc se limiter à la première partie de la loi de finances de l’année.

–       Après avoir reçu l’autorisation de continuer à percevoir les impôts par la promulgation d’une loi de finances spéciale, le Premier ministre, et non le Chef de l’État, pourrait signer des décrets ouvrant les crédits applicables aux seuls services votés. Ici nous serions dans le scénario inverse de celui mis en œuvre par le Gouvernement Attal à propos des annulations de crédits en janvier 2024, puisqu’il s’agit non plus d’annuler, mais d’ouvrir les crédits de l’année 2025 par voie règlementaire. Le PM signerait des décrets de services votés, qui ne viendraient pas interrompre la procédure de discussion du projet de loi de finances de 2025, qui serait seulement décalée dans le temps. 

–       Précisons que les services votés, au sens du quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution, représentent le minimum de crédits que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l’exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l’année précédente par le Parlement. Ils ne peuvent excéder le montant des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l’année (soit ceux de la loi de finances pour 2024 à ce jour).

–       Le recours à une telle loi spéciale de finances, en attendant le vote de la loi de finances initiale, permettrait, sans être pressé par le butoir du début de l’année civile, de se donner le temps pour des compromis essentiels sur les questions budgétaires.

L’utilisation du 49 al.3 pour l’adoption du PLF

–       Lors de la première année de la XVIème législature, le Gouvernement d’Élisabeth Borne n’a pas hésité à utiliser à dix reprises cet outil sur le PLF et le PLFSS, les textes financiers étant présentés en plusieurs parties.  À chaque fois, une ou plusieurs motions avaient été déposées en réponse par l’opposition.

–       Délibération en Conseil des ministres demandée par le Premier ministre pour l’enclenchement de l’article 49 al.3. Pas nécessairement dans le compte rendu.

–       Le Premier ministre peut, en son absence, charger un ministre d’informer l’Assemblée nationale de sa décision d’engager la responsabilité du Gouvernement sur un texte.

–       Le PM peut l’utiliser sur le PLF sans griller son droit d’utilisation sur un autre texte.

–       Le Premier ministre choisit le contenu du texte et les amendements qu’il souhaite intégrer. Il peut présenter au perchoir la version initiale du texte, telle que présentée en Conseil des ministres, ou bien choisir certains amendements adoptés lors de la discussion parlementaire, voire des amendements ou des modifications qui n’ont pas été discutés. Même des dispositions écartées par les députés peuvent faire leur retour. Elisabeth Borne a fait un choix, retenant des amendements de tous bords, même quelques LFI et RN (peu nombreux), pour montrer une volonté de conciliation sur le PLF. 

–       Pour rappel, la navette continue et le texte repart au Sénat qui l’examinera à son tour.  Il peut donc amender le texte et le voter ou non. Le Sénat peut même rejeter le texte par une question préalable au début de l’examen du texte, qui, si elle est votée, met un terme précoce à l’examen, comme en 2016 pour le PLF. De retour à l’Assemblée nationale, le Gouvernement peut à nouveau engager sa responsabilité, jusqu’à l’adoption finale du texte. Il est même arrivé, dans le cas de la réforme des retraites, que l’engagement de la responsabilité du Gouvernement ait été engagée après la CMP, afin d’éviter que l’Assemblée nationale ne se prononce sur le texte par le vote final. Une motion de censure a ensuite été déposée.

–       Attention : au vu de la configuration politique éclatée de l’Assemblée nationale, et l’inexistence de majorité, l’utilisation du 49 al3 devient un risque pour le gouvernement car il va multiplier les motions provoquées et potentiellement coaliser les oppositions plus nombreuses et suffisantes pour faire tomber le Gouvernement.

–       Si la motion de censure est adoptée, le texte PLF 2025 n’est pas adopté. Il peut quand même passer au Sénat (avec un gouvernement démissionnaire -urgence- ou un nouveau gouvernement) ou un nouveau texte (une loi spéciale) peut être examiné.

La motion de rejet préalable ?

–       La discussion en séance peut être interrompue par le vote d’une motion de procédure qui a pour effet d’entrainer le rejet du texte. C’est la motion de rejet préalable.

–       Elle se trouve à l’article 91 alinéa 5 du Règlement de l’Assemblée nationale. Fusionnant l’exception d’irrecevabilité et la question préalable en une seule procédure lors de la résolution du 27 mai 2009, elle a pour objet de faire reconnaître que le texte est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou de faire décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer. Son adoption entraîne le rejet du texte.

–       A la différence d’une motion référendaire, ou d’une motion de censure, il n’y a pas de nombre minimal de députés requis. Autrement dit un député seul peut déposer une motion de censure. Cette procédure reste donc un droit individuel du député dans une Assemblée nationale organisée plutôt autour des groupes politiques. En outre, la motion de rejet n’est pas une prérogative d’un Président de groupe.

Ø  Cela veut également dire qu’un député peut déposer une motion de rejet alors même que ce n’est pas la position de son groupe politique…

Ø  D’habitude, l’opposition n’a aucune chance, mais pas dans une AN explosée (ex : projet de loi immigration).

Ø  Cela simplifierait la situation pour le Gouvernement, n’étant pas directement responsable.

Ø  Plus simple pour passer : il faut une majorité relative, l’abstention peut-être donc favorable au rejet (à la différence de la motion de censure, où c’est favorable au gouvernement car il faut 289 députés). 

Ø  NFP : 192 ; Socle commun : 211. Si abstention du RN ça ne passe pas MAIS attention : quelques Liot, quelques non-inscrits, quelques absents du socle commun et ça peut passer même avec l’abstention du RN…

Mélody Mock-Gruet

Docteure en droit public

Enseignante à Sciences Po Paris

Auteure du Petit Guide du Contrôle Parlementaire (éditions L’Harmattan, octobre 2023

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