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Note sur le projet de loi spéciale de finances  : Explications de Mélody Mock-Gruet

A la suite de la démission du Gouvernement de Michel Barnier provoquée par le vote d’une motion de censure du 4 décembre 2024, le Président de la République a annoncé le vote d’un projet de « loi spéciale de finances» (PLSF).

Faute de loi de finances au 1 er janvier 2025, il n’y aurait plus en effet d’autorisation de percevoir l’impôt, plus de dépenses publiques, plus d’autorisation d’emprunt… La nécessité d’adopter un PLF est la traduction du principe constitutionnel de consentement à l’impôt consacré par les articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de ‘homme et du citoyen. L’article 47 alinéa 4 de la Constitution permet d’éviter un « shutdown » à l’américaine.

 Un nouveau gouvernement formé par François Bayrou devrait bientôt être nommé mais le temps des discussions pour la mise en place d’une nouvelle coalition, le gouvernement démissionnaire sera en charge sans risque de censure de discuter le projet de loi spéciale.

Ce projet de loi comporte trois articles qui visent à autoriser le Gouvernement à percevoir les ressources et impôts existants et à permettre à l’État d’emprunter jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de finances pour 2025, ainsi qu’à permettre à divers régimes et organismes de sécurité sociale d’emprunter jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. 

Le projet de loi spéciale semble faire consensus, la commission a adopté l’ensemble du texte modifié. Mais certains amendements ont été déposés en commission et à nouveau en séance visant à indexer les tranches de revenus du barème de l’impôt sur le revenu (IR). La Présidente de l’Assemblée nationale a déclaré irrecevables les amendements, suivant ainsi l’avis du Conseil d’Etat et l’interprétation stricte du texte. La question d’amender le texte ou non peut revenir lors de la lecture au Sénat.

Calendrier prévisionnel

–              Le PLSF a été présenté en conseil de ministres le mercredi 11 décembre 2024. C’est donc le gouvernement démissionnaire, en charge des affaires courantes d’ici la formation d’une nouvelle équipe, qui porte au moins au début le projet de loi spéciale. 

–              La commission des finances de l’Assemblée nationale a examiné le projet de loi spéciale le jeudi après-midi. Elle a voté pour le texte.

–              L’examen en séance publique, qui se fait sur le texte déposé (et non celui de la commission) est programmé le lundi 16 à 16H. 

–              Au Sénat, l’examen dans l’hémicycle a lieu le 18 décembre. 

Procédure du PLSF 

–              La possibilité d’une « loi spéciale » est prévue (article 47 al.4 de la Constitution et article 45 de la LOLF). 

–              Le PJL spéciale étudié en procédure accélérée constitue un élément détaché, préalable et temporaire de la loi de finances. Il ne dispense donc pas du vote d’une loi de finances 2025 en bonne et due forme au cours de l’année 2025 (mais il faut trouver une majorité pour la voter).

–              Le Gouvernement a décidé de rendre public l’avis du Conseil d’État du 9 décembre 2024 relatif à l’interprétation de l’article 45 de la LOLF, pris pour l’application du quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution.

–              Avis du Conseil d’Etat sur l’urgence : le CE « observe que ni la Constitution ni la loi organique relative aux lois de finances n’ont expressément prévu la procédure à suivre » dans les circonstances actuelles où il n’est pas possible « d’aboutir à la promulgation d’un projet de loi de finances pour 2025 avant le 31 décembre 2024 » (…) depuis l’adoption d’une motion de censure intervenue le 4 décembre 2024 ».

–              Il considère donc que ces circonstances « sont susceptibles de faire obstacle à la promulgation d’un projet de loi de finances pour 2025 avant le 31 décembre 2024 » et qu’il appartient donc « au Gouvernement de s’inspirer des règles prévues par l’article 45 de la Loi organisme relative aux lois de finances aux fins d’aboutir à la promulgation, avant le 1er janvier 2025, d’une loi spéciale l’autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année 2025 ».

Contenu du PLSF

–              La loi spéciale aurait pour objectif d’autoriser le prélèvement des impôts et répartir par décret les crédits correspondants à l’exercice 2024. Le Gouvernement prend des décrets ouvrant les crédits applicables aux seuls services votés, qui ne peuvent excéder le montant des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l’année, c’est-à-dire la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances initiale pour 2024.

–              Elle n’indexerait sur l’inflation ni le barème de l’impôt, ni les crédits. Elle ne permettrait pas les 60 milliards d’économie espérés par le gouvernement et reporterait diverses mesures (notamment en faveur de l’agriculture, de la défense et du logement). 

–              Avis du CE :  Selon la loi organique sur les lois de finances, ce texte d’urgence permet en effet seulement de reconduire les « impôts existants ». La finalité de la loi spéciale « est exclusivement d’assurer la continuité de la vie nationale dans l’attente de l’adoption d’une loi de finances initiale », souligne le Conseil d’Etat. « Les mesures nouvelles d’ordre fiscal, qui ne sauraient, en tout état de cause, être regardées comme des mesures nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale, ne relèvent pas du domaine de la loi spéciale ».

–              « Les services votés, au sens du quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution, représentent le minimum de crédits que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l’exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l’année précédente par le Parlement. Ils ne peuvent excéder le montant des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l’année ». 

–              Le Conseil d’Etat estime également que la participation financière de la France à l’Union européenne ne saurait être intégrée à la loi spéciale. Il faudra donc reconduire les crédits de 2024, inférieurs à la contribution de la France en 2025, par décrets, une fois la loi spéciale adoptée. A charge pour la future loi de finances de corriger ce problème. Même chose pour les dotations de l’Etat en faveur des collectivités territoriales.

–              En revanche, le Conseil d’Etat considère bien que le gouvernement peut inscrire dans le texte d’urgence une autorisation d’emprunter pour l’Etat et la Sécurité sociale. Sans cela, les organismes de Sécurité sociale « ne seraient plus en mesure d’assurer la continuité des paiements et remboursements des prestations sociales ».

Le cas des amendements

–              Des amendements pourraient être déposés pendant sa discussion en procédure accélérée : ce fut le cas en 1979 mais aucun n’avait été adopté. 

Certains étaient sur le barème de l’impôt sur le revenu. Rejetés, les amendements portés par la gauche à l’époque n’étaient pas une revalorisation sur l’inflation des tranches du barème, mais une restructuration. 

–              Pendant la commission du pjl spéciale de 2024: 33 amendements déposés, la plupart déclarés irrecevables. 4 ont été adoptés dont l’un du Président de la commission des finances Eric Coquerel, visant à indexer les tranches de revenus du barème de l’impôt sur le revenu (IR), ainsi que les seuils et limites qui lui sont associés, sur la prévision d’évolution de l’indice des prix à la consommation hors tabac de 2024 par rapport à 2023, soit 2 %.

–              En séance : le texte étudié est celui déposé avant l’étude en commission (comme pour la LFI). En d’autres termes, les amendements adoptés en commission doivent l’être à nouveau en séance. 37 ont été déposés dont certains à nouveau sur l’indexation de l’IR.

–              Pour rappel, l’article 40 de la Constitution interdit aux parlementaires de dégrader une recette fiscale sans compensation. Le Président de la Commission des finances, ayant lui-même déposé certains amendements sur ce sujet, il est revenu à la Présidente de l’Assemblée nationale de les déclarer irrecevables, ce qu’elle a fait dans la matinée.

–              Certains amendements pourraient également être irrecevables article 45, si le projet de loi spéciale est d’interprétation stricte.

–              Selon Jean-Pierre Camby (professeur associé chez université de Versailles Saint Quentin): « seul le gouvernement pourrait théoriquement déposer un amendement allant dans le sens d’une indexation du barème mais cette revalorisation excède le champ de la loi spéciale prévue à l’article 45 de la LOLF ». 

–              La question d’amender le texte ou non peut revenir lors de la lecture au Sénat.

Précédent de 1979 : 

–              La loi spéciale a été utilisée par le Gouvernement Raymond Barre, lorsque le 24 décembre le PLF pour 1980 avait été annulé dans sa totalité par le Conseil Constitutionnel.  (CC, 24 déc. 1979, n° 79-110 DC). Il avait alors considéré que l’absence d’adoption à l’Assemblée nationale de l’article dit « d’équilibre » de la première partie du projet de loi de finances pour 1980 – qui évalue les recettes, fixe les plafonds des charges et vise à « garantir qu’il ne sera pas porté atteinte, lors de l’examen des dépenses, aux grandes lignes de l’équilibre préalablement défini, tel qu’il a été arrêté par le Parlement » –, contrevenait à l’article 40 de l’ordonnance du 2 janvier 1959 selon lequel « la seconde partie de la loi de finances de l’année ne peut être mise en discussion devant une assemblée avant le vote de la première partie ».

–              L’hypothèse d’une censure constitutionnelle n’avait pas été anticipée dans l‘ordonnance organique de 1959. Le Gouvernement déposa alors un projet de loi l’autorisant à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants.

–              Il n’y avait qu’article unique : jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de finances pour 1980, la perception des impôts, produits et revenus affectés à l’Etat, aux collectivités territoriales, aux établissements publics et organismes divers habilités à les percevoir, continue d’être effectuée pendant l’ann6e 1980, conformément aux lois et règlements. Est de même autorisée la perception des taxes parafiscales existantes

–              Lors de la discussion de ce projet de loi en séance à l’Assemblée nationale le 27 décembre 1979, le ministre du budget avait rappelé que ce texte constituait « le moyen immédiat et strictement nécessaire de faire face au risque de vide juridique » quant à la perception des recettes et ne « [traitait] d’aucune question de fond du budget ». Adoptée le 27 décembre par l’Assemblée, puis le lendemain par le Sénat en des termes conformes, la loi fut promulguée le 30 décembre 1979 . Cette procédure fut retenue en l’absence de tout fondement textuel – les dispositions de l’article 45 de la LOLF ne figuraient pas dans l’ordonnance du 2 janvier 1959 – mais le Conseil constitutionnel admit sa régularité dans sa décision n° 79-111 DC du 30 décembre 1979.

–              Le projet de loi de finances pour 1980, déposé le 27 décembre 1980, fut examiné par l’Assemblée à compter du 7 janvier 1980 et considéré comme adopté le 9 janvier à la suite de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. La loi de finances pour 1980 fut promulguée le 18 janvier 1980.

–              Le CC a confirmé la conformité à la Constitution la possibilité d’une loi spéciale. C’est ce précédent que codifie désormais le 4ème alinéa de l’article 45 de la LOLF. Comme dans le cas précédent, les crédits nécessaires sont ouverts par décrets dans les limites de l’exercice précédent et dans l’attente de la promulgation, en début d’exercice, de la LFI. 

–              Le CC a considéré que : « la loi soumise au Conseil constitutionnel autorise la perception des impôts, produits et revenus affectés à l’État, aux collectivités territoriales, aux établissements publics et organismes divers habilités à les percevoir, ainsi que celle des taxes parafiscales existantes ; elle constitue un élément détaché, préalable et temporaire de la loi de finances pour 1980. »

En cas de rejet du texte

–              Cette hypothèse semble peu probable. Il y a un consensus entre les groupes politiques (Assemblée nationale et Sénat) pour adopter le texte le plus rapidement possible. Mais n’ayant pas pu indexer les tranches de revenus du barème de l’impôt sur le revenu (IR), certains groupes à l’Assemblée nationale pourraient voter contre le projet de loi. L’abstention suffirait à le voter.

–              De même, si le Conseil Constitutionnel est saisi, il ne pourrait censurer que partiellement la loi, ce qui permettrait la conformité à la Constitution de la partie sur l’autorisation du prélèvement des impôts. A cet égard, il pourrait distinguer entre certaines dispositions qui entraîneraient un blocage si elles ne devaient pas être prises avant le 1 janvier.

–              Dans le cas d’un rejet du projet de loi spéciale par le Parlement, qui n’est prévu par aucun texte, et où il s’agit d’éviter le « shutdown », le gouvernement pourrait peut-être prendre les dispositions nécessaires à la continuité de la vie de la Nation figurant dans le projet de loi spéciale – a priori l’ensemble des dispositions du projet de loi donc – par la voie réglementaire. La question pourrait alors se poser de recourir à une ordonnance (du type de celle de l’alinéa 3 de l’article 47).

–              Une autre option a possible : le Président de la République pourrait utiliser l’article 16 de la Constitution lui conférant les « pleins pouvoirs ». Même s’il y a peu de chance que le Président utilise cet article à cause d’une crise budgétaire, il faut avoir à l’esprit que le Conseil d’Etat s’est déclaré incompétent pour contrôler la décision déclenchement de l’article 16 (CE, 1962, Rubin de Servens). Depuis la révision constitutionnelle de 2008, le Conseil Constitutionnel pourrait se prononcer au bout de 30 jours s’il est saisi par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs.

Le Petit Guide du Contrôle Parlementaire

de Mélody Mock-Gruet et Hortense de Padirac 

paru le 17 octobre 2023 aux éditions L’Harmattan

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