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Olivier Babeau : « L’apocalypse du numérique a lieu sous nos yeux »

Olivier Babea est Président de l’Institut Sapiens et  Professeur à l’université de Bordeaux


Les façons dont les parts de marché, les positions sociales et l’influence politique s’acquièrent ont radicalement changé.
Les meilleures plateformes profitent du levier incroyablement puissant de l’effet réseau. La formation d’un marché mondial de l’attention a donné les clés de notre cerveau à des entreprises qui proposent d’être notre unique serviteur, mais dont nous dépendons alors si totalement qu’elles sont aussi nos maîtresses. Notre économie connaît une polarisation croissante entre les grosses  plateformes qui maîtrisent l’accès au client et la myriade d’entreprises qui en dépendent.
Dans une société de la connaissance où le travailleur devra être complémentaire d’une intelligence artificielle assumant sans mal toutes les tâches non transversales, l’effet Mathieu sépare deux catégories de population : d’un côté, les travailleurs surpayés et hyper-connectés que les entreprises s’arrachent ; de l’autre, ceux dont les compétences sont devenues inutiles. La « société en losange » traditionnelle disparaît. Plus les deux mondes se sépareront, moins il sera concevable à un membre de la classe inférieure d’atteindre l’autre extrémité du spectre social. Un employé de bureau pouvait hier espérer devenir cadre ; un chauffeur au chômage demain aura très peu de chances de réussir à devenir data scientist…

La polarisation politique est le phénomène le plus frappant. L’abaissement du coût d’entrée sur le marché cognitif permis par les réseaux sociaux a rendu aisée la diffusion d’idées non sélectionnées par les canaux usuels d’hier. Dans cette agora où chacun peut s’exprimer, l’effet Dunning-Kruger multiplie les prises de parole des ignorants persuadés de savoir et marginalise celle des savants. Conjugué avec la recherche de maximisation du temps d’attention sur laquelle repose l’économie des réseaux, cet effet dope les contenus les plus segmentant, accentue les bulles cognitives et favorise l’agglutination des opinions autour de pensées extrêmes. La perception de la société a toujours été une construction ; désormais, elle est le résultat de mécanismes de sélection dont la nature a changé : on ne perçoit plus en priorité, comme autrefois, ce qui est conforme à un consensus large ayant mis du temps à émerger, mais au contraire ce qui en diverge, ce qui donne une prime aux exagérations les plus délirantes. Notre perception du monde est produite par une lentille déformante très particulière qui rend invisibles les idées nuancées et hyperbolise celles qui le sont moins.

Nous entrons dans le monde du tout ou rien.
Il y a ceux qui sont tout : plateformes incontournables, travailleurs que les plus grandes entreprises s’arrachent à prix d’or, dictatures technologiques dominatrices et sûres de leurs stratégies.
 
Et ceux qui ne sont rien : entreprises vassales qui ne peuvent qu’accepter les conditions imposées, soutiers de la nouvelle économie dont la valeur du travail ne cesse de diminuer, régimes politiques incapables de se moderniser et dévorés par les minorités actives.
Nous progressons dans ce siècle comme des explorateurs pénètrent en terre inconnue. Les horloges deviennent folles, rompant avec les cycles habituels. Dies irae, « jour de colère », disait l’hymne liturgique à propos de l’Apocalypse. Le jour de colère que les Gilets jaunes ont incarné à partir de novembre 2018 n’est probablement qu’un début.
https://www.youtube.com/watch?v=Er6ib8zV6B0&t=221s

Comments

  • Anonyme
    février 27, 2021

    4.5

  • helene gRANDEMAISON
    février 27, 2021

    Internet ne nous rend pas service et surtout nos anciens souffrent de cette » technologie »

  • jean marc ducros
    février 27, 2021

    Nos emplois sont entrain de disparaître et nos politiciens de réagissent pas. Oui monsieur l’apocalyse du numérique a eu lieu chez nous

  • leatition brissaud
    février 27, 2021

    Nous avons 11 millions de personnes de senior dans notre pays et les institutions publiques nous obligent aujourd’hui à passer par les outils numériques

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