« Dans les décombres du colonialisme, nous avons trouvé cet outil merveilleux : la langue française », aimait à répéter le poète Léopold Sédar Senghor, ancien président du Sénégal.
Une formule qui reflète la philosophie des pères fondateurs de la Francophonie institutionnelle – Senghor et ses homologues tunisien, Habib Bourguiba et nigérien, Hamani Diori, ainsi que le Prince Norodom Sihanouk du Cambodge – et qui consiste à mettre à profit le français au service de la solidarité, du développement et du rapprochement des peuples par le dialogue permanent des civilisations.
« Dans toute une génération après les décolonisations de l’ancien Empire français a commencé à se faire jour la nécessité de défendre la langue française dans les pays où elle était soit langue officielle soit langue d’usage soit les deux à savoir : Maghreb Afrique sub sahélienne de l’Ouest et centrale, l’ ile Maurice, le Vietnam, le Quebec… » nous explique Denis Tillinac, qui fut représentant personnel du Président Chirac pour la Francophonie. « L’idée exprimée par Senghor au lendemain des indépendances dans le reflux de la décolonisation était que la langue est un trésor. »
Déjà, en 1979, à l’initiative du maire de Paris, Jacques Chirac, les maires des capitales et métropoles partiellement ou entièrement francophones créent leur réseau : L’Association internationale des maires francophones (AIMF) qui deviendra, en 1995, un opérateur de la Francophonie.
Le Sommet des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage, communément appelé « Sommet de la Francophonie », se réunit pour la première fois en 1986 à Versailles (France), à l’invitation du Président de la République François Mitterrand. 42 Etats et gouvernements y participent et retiennent quatre domaines essentiels de coopération multilatérale : le développement, les industries de la culture et de la communication, les industries de la langue ainsi que le développement technologique couplé à la recherche et à l’information scientifique.
Ces concertations politiques au plus haut niveau ont progressivement renforcé la place de la Francophonie sur la scène internationale, tout en élargissant ses champs d’action et en améliorant ses structures et modes de fonctionnement.
« L’idee a germé d’une institution à vocation internationale qui regrouperait tous les pays usagers ou ayant le français comme langue officielle parce elle la langue est un véhicule de puissance politique au même titre qu’un régiment d’armée ou une balance du commerce extérieur ; il ne s’agissait pas de préserver une esthétique, ce n’est pas non plus le refuge des amoureux de la littérature française même s’il y a peut-être une part de nostalgie quand on sait que jusque dans l’entre deux guerres les classes aisées européennes et dans le monde élevaient leurs enfants dans la langue française ; même les pays communistes prescrivaient dans les écoles la lecture de Balzac ou Zola ( pour critiquer l’idéologie de la bourgeoise occidentale)
Cette institution apparut donc utile pour regrouper ce qui se faisait au niveau de certaines universités dans la perspective de constituer un bloc aux Nations unies qui pèserait sur le modèle du Common wealth »
L’Organisation internationale de la
francophonie (OIF) est une institution dont les membres (des États ou gouvernements participants) partagent ou ont en commun la
langue française et certaines valeurs (comme, notamment, la
diversité culturelle, la paix, la gouvernance démocratique, la consolidation de l’
état de droit, la
protection de l’environnement). Depuis le
1er janvier 2015,
Michaëlle Jean, ancienne
gouverneur général du Canada, d’origine
haïtienne, est
secrétaire générale de la Francophonie.
Elle s’appuie sur quatre opérateurs directs dont TV5 qui est née de l’alliance de cinq chaînes de télévision publiques : TF1, Antenne 2 et FR3 pour la France, la RTBF pour la Communauté française de Belgique et la TSR pour la Suisse compte aujourd’hui 7 chaînes de télévision et TV5 Québec-Canada. Transportée par 44 satellites, reçue dans 189 millions de foyers de par le monde, elle constitue le principal vecteur de la Francophonie : la langue française, dans la diversité de ses expressions et des cultures qu’elle porte.
Sous l’impulsion de Jacques Chirac les réseaux francophones comment à se structurer : Denis Tillinac poursuit :« La proximité et la confiance mutuelle établie avec Jacques Chirac m’ont permis, lorsqu’il a occupé la fonction suprême, de lui proposer de relancer une initiative qui était suggérée depuis longtemps dans les instances francophones – notamment par
le président Bongo – à savoir faire de la francophonie une entité politique sur la scène internationale.
Beaucoup d’institutions multilatérales faisaient doublon, il fallait donc fédérer les énergies et mettre à la tête du dispositif un secrétaire général de haut niveau..
En une époque de communication tous azimuts, il me semble qu’une langue est en soi un vecteur de puissance politique, économique et culturelle. Les Américains l’ont bien compris et depuis longtemps, puisque dans toutes les instances où il y a des échanges – les congrès, les colloques, les séminaires de recherche… – ceux-ci se font en anglais.
Bien évidemment, il est indispensable de parler anglais pour travailler, échanger ou faire des affaires. Mais ne perdons jamais de vue que notre langue définit un certain rapport au réel. Le constat que nous devons faire, c’est qu’il existe un espace francophone qui a le mérite d’exister sur les cinq continents – même si c’est souvent dans des pays économiquement pauvres.
J’aurais rêvé d’un énorme plan Marshall sur l’éducation dans l’espace francophone, qui aurait assuré la montée en puissance progressive d’une élite stable parlant français. »
Pour être plus conforme à la dimension politique qu’elle a acquise, la Francophonie se dote sur décision du Sommet de Cotonou (1995, Bénin) d’un poste de Secrétaire général, clé de voûte du système institutionnel francophone. Le premier Secrétaire général est élu au Sommet de Hanoi (Vietnam) en 1997, en la personne de Boutros Boutros-Ghali, ancien Secrétaire général des Nations unies et ancien Ministre d’Etat aux Affaires étrangères dans le gouvernement égyptien . Au cours de ce même Sommet, la Charte de la Francophonie, principal texte de référence, est adoptée.
Abdou Diouf, ancien Président de la république du Sénégal, est élu Secrétaire général de la Francophonie au Sommet de Beyrouth en 2002. Il impulse une nouvelle dynamique à l’Organisation dans ses deux volets : les actions politiques et la coopération pour le développement. Une nouvelle Charte de la Francophonie adoptée par la Conférence ministérielle à Antananarivo (Madagascar) en 2005, rationalise les structures de la Francophonie et ses modes de fonctionnement et consacre l’appellation d’Organisation internationale de la Francophonie.
Un long chemin a été parcouru. Pour autant, de nouveaux défis attendent la Francophonie à l’heure où la perte d’influence à l’étranger est manifeste, conséquence logique d’une carence de volonté politique en dépit des organisations mises en place. Denis Tillinac : « Notre univers de mots ne s’arrête pas à l’Hexagone. Il est peuplé par l’histoire de la négritude, la poésie de Senghor, celle de Nadia Tuéni, la poésie mauricienne… Tous ces grands écrivains, dont la langue est le français bien que n’étant pas de nationalité française, m’ont convaincu qu’il fallait regarder en dehors de l’Hexagone. Plus que jamais, nous avons besoin d’un arrière pays pour notre imaginaire » .
Cédric Leboussi
4.5