« POURQUOI JE VAIS QUITTER LA FRANCE » de Jean-Philippe Delsol
La France se vide de sa substance. Et de plus en plus nombreux sont les patrons qui la quittent, à cause de la fiscalité, certes, mais, surtout, parce qu’ils ne se sentent pas aimés. Dans ce cas-là, le courage, pour sa préservation et conservation, se trouve dans la fuite vers des cieux plus cléments, comme au temps de la révocation de l’Edit de Nantes.
Dans son dernier livre, Jean-Philippe Delsol met en scène un archétype de patron, qui, parmi tant d’autres – la courbe des départs est exponentielle depuis deux, trois ans -, va quitter la France, qu’il aime, non sans regret donc. Son histoire emblématique se déroule en deux temps, un mouvement: la France fout le camp, je fous le camp.
Le patron, dont parle Jean-Philippe Delsol, est un patron imaginaire dans lequel se trouvent réunis de nombreux autres patrons qui lui ressemblent.
Ce patron archétypique est d’origine modeste. Avec beaucoup de persévérance et de travail, il a fait des études d’ingénieur, travaillé dans une grande société. Un jour, son père lui demande de reprendre la petite affaire de décolletage qu’il a créée dans son village. Il accepte et, en vingt ans, en fait une belle PME qui occupe 120 personnes. Il gagne bien sa vie. Il possède sa résidence principale. Sa femme et lui ont trois grands enfants, aux études.
Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pourtant il va quitter la France, parce qu’il fait partie de ceux que les médias vilipendent à longueur de colonnes, que le fisc harcèle par des contrôles qui se traduisent par des redressements pour des broutilles, que les syndicats veulent égaliser en contestant leur salaire mérité par les risques pris, et que l’Etat, imaginatif, cherche par tous les moyens, même légaux, à empêcher de faire leur métier.
La France fout le camp
En France, l’Etat est devenu un Etat fiscal. Les dépenses publiques explosent, 57% du PIB. Cet interventionnisme étatique est ruineux parce qu’il se fait en dehors de toute logique économique. Or, il faut bien financer ces folles dépenses. Alors les impôts et taxes se mutiplient, sur tout et sur rien, et les prélèvements obligatoires explosent parallèlement, 45% du PIB. Alors, l’endettement permet de reporter sur les générations futures – qui ne peuvent rien dire, et pour cause – la différence entre dépenses et recettes qu’une fiscalité pourtant lourde ne suffit pas à combler chaque année.
Cela dure depuis des décennies:
« Le citoyen naît contribuable. »
En comparaison internationale, la France est championne dans la création fiscale – la TVA n’a-t-elle pas été inventée dans ce beau pays? – et dans les taux d’imposition, qu’il s’agisse, par exemple, du taux marginal supérieur de 57% ou du taux d’impôt sur les sociétés de 36.10%. C’est l’exception fiscale française.
L’Etat ne se contente pas d’être créatif en matière fiscale, il est d’humeur changeante. Bien fol le contribuable qui se fie à ses lois. Ce que l’Etat a imaginé un jour pour le ponctionner, il peut, sans vergogne, le remettre en cause le lendemain, ne jamais l’appliquer ou, même, l’appliquer rétroactivement. Pourquoi se gêner?
Comme le montre Jean-Philippe Delsol, tout cet argent n’est pas perdu pour tout le monde. Sur une population active d’environ 28 millions de personnes, plus de 14.5 millions sont rémunérés par l’Etat: les 5.2 du secteur public, les 2 du secteur para-public, le 1.08 des associations de financement public (60% de 1.8), le 0.5 des contrats aidés, le 0.2 des contrats d’apprentissage, le 0.05 des contrats de génération, le 1 des agriculteurs, les 3.22 de chômeurs, le 1.3 du RSA « socle ». Sans compter les employés des entreprises concessionnaires et les chômeurs de catégorie B et C (environ 1.2) …
Seulement tout cela mène droit dans le mur. Car, toutes les études économiques le montrent, sans conteste: plus de dépense publique et de dette publique se traduisent par moins de croissance, et plus d’aide publique par plus de chômage. Il semble qu’il n’y ait qu’en France qu’on ne veuille pas le comprendre.
Comme on ne veut pas comprendre que la liberté des échanges favorise la prospérité des nations et que le protectionnisme appauvrit plus qu’il n’enrichit, comme l’a brillamment démontré en son temps Frédéric Bastiat.
Comme on ne veut pas comprendre, en France – et ailleurs -, qu’une loi ne doit jamais être contraire au droit naturel:
« La France, et bien d’autres Etats avec elle, ont une fâcheuse tendance à confondre, de plus en plus, l’état de droit avec le droit de l’Etat. L’idée qui tend à prévaloir est que ce qui est bon pour l’Etat est juste. Et pourtant ça n’a rien à voir ou presque. Le danger est précisément de considérer le droit comme un outil au service de la majorité, modulable par elle à merci. »
En somme, se dit le patron archétypique:
« L’Etat français ne respecte plus ni les principes fondateurs de la société ni les hommes qui la composent. Alors pourquoi resterai-je? »
Je fous le camp
Jean-Philippe Delsol explique les modalités de l’exit tax qui sont une incitation à partir, puis il fait le tour des destinations possibles alors que son héros et sa femme n’ont pas envie de partir trop loin:
« L’entreprise marche et je ne l’ai pas encore vendue. Je ne suis pas sûr de vouloir la vendre. »
Il envisage donc d’abord de partir pour le Royaume-uni. Il pourrait apporter les titres de sa société française dans une société holding, une Limited. L’auteur explique, dans tous ses détails techniques, les avantages fiscaux, mais aussi tous les risques encourus, que son entrepreneur trouve finalement trop importants.
Comme si tout cela n’était pas assez compliqué, Jean-Philippe Delsol avoue que la femme de son héros « dispose d’un compte en Suisse dont elle a hérité de ses parents » et qui remonte à son trisaïeul, du temps de la révolution russe… et il montre qu’il n’est pas si simple de rapatrier ce petit pactole.
C’est l’occasion pour Jean-Philippe Delsol de rappeler quelque chose de fondamental et qui découle du droit naturel, bien oublié en France:
« La liberté, qui est la condition de tout développement humain, requiert que chacun puisse placer son argent comme il l’entend, pour autant qu’il paye ses justes impôts et ne commette pas d’infraction pénale, que chacun ait le droit de conserver la confidentialité de son patrimoine, que chacun puisse voter avec ses pieds, y compris pour gérer ailleurs ses actifs. »
Finalement l’entrepreneur archétypique choisit justement de s’installer en Suisse et pas seulement pour des raisons fiscales, même si la concurrence fiscale y règne et qu’elle le séduit, qu’elle est favorable aux contribuables et qu’elle conduit à l’harmonie, le contraire de l’uniformisation.
Car il renonce même, par avance, à être au bénéfice de l’imposition sur la dépense, le fameux « forfait fiscal ». Renseignement pris, il adoptera le régime du réel et il s’installera dans une commune du Valais « où la fiscalité est douce sans avoir recours au forfait ».
En fait, ce qui lui a plu, et à son épouse, « c’est d’abord et peut-être surtout cette variété dans les approches et les situations » en Suisse:
« C’est plus compliqué bien sûr. Chaque canton, chaque commune a sa fiscalité et sa façon de la pratiquer. Mais précisément, c’est ce qui fait la force de ce petit pays et ce qui lui permettra peut-être de mieux résister que d’autres à la démagogie qui pousse à toujours plus d’Etat et toujours plus d’impôts. »
A condition, toutefois, que le peuple suisse ne se laisse pas séduire par le chant des sirènes qui veulent transformer la Suisse en Etat-providence, avec, par exemple, le salaire minimum, la caisse unique d’assurance-maladie et l’impôt sur les successions en ligne directe…
Pourquoi je vais quitter la France, Jean-Philippe Delsol, 204 pages, Tatamis
Livre précédent:
A quoi servent les riches, avec la participation de Nicolas Lecaussin, 238 pages, JC Lattès