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Rétablir les libertés au lieu de les réduire par Thierry Foucart

Thierry Foucart

L’oligarchie au pouvoir en France et en Europe depuis plusieurs dizaines d’années est engluée dans une idéologie très protectrice et intrusive. Elle a créé une situation inextricable dont elle ne peut sortir par les moyens dont elle dispose et qu’elle a elle-même limités. Elle a oublié les libertés fondamentales en voulant les contrôler, et se trouve maintenant devant des contradictions inhérentes au système législatif et réglementaire qu’elle a mis en place.

La publication des caricatures de Mahomet par des journaux français et européens donne un exemple typique de ces contradictions internes. Elle est bien plus blessante semble-t-il pour les musulmans que le serait, pour d’autres, la négation des atrocités subis par leurs ancêtres, parfois il y a plusieurs centaines d’années (l’esclavage) ou dont la France n’est pas responsable (le génocide arménien). Malgré cette différence, la première est autorisée par la liberté d’expression, tandis que cette négation – et même tout débat concernant les expressions “génocide” et “crime contre l’humanité” – sont interdits par les lois mémorielles. Interdire le blasphème réduirait encore la liberté d’expression. La cohérence voudrait plutôt que l’on abroge ces lois liberticides, le principe démocratique étant d’octroyer à la population le maximum de libertés, en particulier celle de se tromper.

Ce raisonnement suppose que les citoyens sont aptes à supporter la contradiction des autres. Les citoyens de demain étant les enfants d’aujourd’hui, il est nécessaire d’y préparer les élèves. Il ne s’agit donc pas seulement de permettre à chacun d’entre eux d’acquérir pour lui-même la liberté de croire, de dire, etc., mais aussi de lui faire comprendre que les autres disposent de cette liberté, c’est-à-dire peuvent croire et dire différemment. L’apprentissage des libertés est par suite l’acceptation des confrontations pacifiques entre les libertés de tous.

L’assassinat d’un enseignant, qui a montré ces caricatures dans un cours d’éducation civique sur la liberté d’expression et de croyance, a généré des réactions unanimes devant ce meurtre odieux, mais diverses devant ce procédé pédagogique.

L’apprentissage des libertés pour transformer les élèves en citoyens est laïc, c’est-à-dire fondé sur une théorie de la connaissance dont le principe fondamental est l’ignorance initiale de l’homme. Elle ignore toutes les vérités révélées ou issues de la tradition pour que les élèves puissent construire peu à peu leurs propres convictions[1]. L’enseignement laïc donne à chacun la capacité intellectuelle de choisir sa religion indépendamment de son environnement familial et culturel. Les parents qui n’ont pas été préparés à cette liberté pendant leur jeunesse peuvent donc entrer en conflit avec l’école. C’est pour limiter ce type de conflit que « nous devons fermement séparer le domaine de l’éducation des autres domaines, et surtout celui de la vie politique et publique »[2] – on devrait ajouter religieuse[3] – et qu’auparavant, les programmes évitaient les sujets d’actualité souvent conflictuels. Ni La Fontaine ni Corneille n’ont suscité de polémique contrairement à la guerre d’Algérie et à la colonisation[4].

Cette règle ayant été abrogée, les programmes pédagogiques abordent maintenant des faits politiques, économiques et sociaux contemporains. Cela impose une démarche pédagogique progressive, consistant à choisir les documents étudiés (textes, photos, films, œuvres d’art etc.) en fonction des capacités des élèves et de leur acceptation par les parents. Dans certains cas, ces derniers peuvent contester cette démarche, si par exemple l’ouvrage de Sade La philosophie dans le boudoir ou le tableau de Courbet L’origine du monde sont étudiés comme exemples de liberté de penser et de liberté artistique. De même, la présentation des caricatures de Mahomet à des élèves de 4e peut être jugée choquante par des parents, comme le seraient des caricatures de Jésus, mais est aussi, pour certains, l’occasion de contester l’apprentissage des libertés et de la tolérance par leurs enfants.

Il est donc indispensable de distinguer entre l’intervention des parents au sein de l’école pour protester contre ce genre de démarche pédagogique qu’ils considèrent – à tort ou à raison – choquante, et le refus que leurs enfants soient formés aux libertés.

La réponse à une simple protestation est la plupart du temps trouvée par le dialogue entre l’enseignant et les parents. En cas de désaccord persistant, l’intervention de la hiérarchie pédagogique peut être nécessaire.

Par contre, le refus de la formation des enfants à la laïcité ne peut faire le sujet d’un débat puisque cette formation est indispensable pour lutter contre l’obscurantisme et assurer l’avenir de la République et de la démocratie. Cette restriction de la liberté éducative des parents est nécessaire pour préserver l’avenir des enfants et de la société. Ce n’est pas la seule : une transfusion sanguine indispensable à la vie d’un enfant est réalisée malgré l’opposition de ses parents témoins de Jéhovah. Ces restrictions sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses.

Pour imposer l’apprentissage des libertés aux familles qui s’y opposent, les pouvoirs publics projettent de donner un monopole au système éducatif sous leur contrôle. L’État s’attribuerait ainsi une part encore plus prédominante dans l’éducation des enfants dès trois ans (pourquoi pas à la crèche ?) et réduirait d’autant la responsabilité des parents dans le but d’empêcher la diffusion d’idéologies contraires à la démocratie dès la petite enfance. On peut s’attendre à des réactions de refus de familles et s’inquiéter de l’usage de ce monopole dans l’avenir.

Tous les parents sont concernés par cette restriction de leur responsabilité éducative. Cette démarche collective est fréquemment suivie par les pouvoirs publics, pour lutter contre les comportements dangereux sur les routes par exemple puisque tout le monde est contrôlé, et inverse la règle démocratique qui voudrait que les pouvoirs publics agissent auprès de la minorité en cause en préservant les libertés de la majorité.

Ce refus de la répression est une manifestation de la faiblesse politique de l’État et accentue la perte de son autorité. La solution proposée ci-dessous consiste à rétablir le fonctionnement démocratique en agissant directement sur ceux qui contestent les libertés constitutionnelles. Elle est fondée sur deux textes fondateurs de la tolérance et de la laïcité.

John Locke refuse la tolérance envers « une Église dont tous les membres, du moment où ils y entrent, passent, ipso facto, au service et sous la domination d’un autre prince […] puisque celui-ci permettrait alors qu’une juridiction étrangère s’établît dans son propre pays, et qu’on employât ses sujets à lui faire la guerre. » [5] En faisant venir des imams étrangers en France, les pouvoirs publics y ont fait entrer en même temps le cheval de Troie de l’islamisme. La difficulté sera la même lorsque des pasteurs protestants ou des gourous de sectes religieuses voudront empêcher l’enseignement du néodarwinisme pour imposer le créationnisme ou l’origine extraterrestre de l’homme aux enfants de leur communauté.

Le discours bien connu de Stanislas de Clermont-Tonnerre est explicite : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et accorder tout aux Juifs comme individus ; il faut qu’ils ne fassent dans l’État ni un corps politique ni un ordre ; il faut qu’ils soient individuellement citoyens. Mais, me dira-t-on, ils ne veulent pas l’être. Eh bien ! S’ils veulent ne l’être pas, qu’ils le disent, et alors, qu’on les bannisse. Il répugne qu’il y ait dans l’État une société de non-citoyens et une nation dans la nation ! » La fin de son discours est par contre souvent ignorée : « les Juifs sont présumés citoyens, tant qu’on n’aura pas prouvé qu’ils ne le sont pas, tant qu’ils n’auront pas refusé de l’être »[6] . Ce refus, c’est celui de la démocratie et de la culture française, ce n’est pas une simple protestation contre la présentation des caricatures de Mahomet à des enfants de 4e jugée choquante à tort ou à raison.

Les responsables politiques ne connaissent visiblement pas la Lettre sur la tolérance de Locke, et ceux qui “négocient” des accommodements peu avouables avec les religions devraient lire le discours de Clermont-Tonnerre. La situation actuelle est le résultat de leurs errements.

Une politique respectueuse de la démocratie comporte donc trois étapes :

  • La première est le contrôle systématique des discours et prêches de tous les prêtres, pasteurs et imams étrangers, et leur expulsion immédiate s’ils contestent les droits de l’homme et les droits constitutionnels. Il suffirait que les textes de leurs interventions soient déposés en préfecture, comme cela se fait dans d’autres pays.
  • La seconde consiste à constater le refus d’une personne ou d’une famille de respecter la loi démocratique prioritairement à la règle religieuse (ou autre). La référence légale pourrait être un code de la laïcité[7]. Les signalements seraient effectués par des responsables administratifs, des élus, des chefs d’entreprise, des représentants d’associations, des enseignants, des médecins etc.
  • La troisième concerne la sanction. Elle pourrait aller, pour les immigrés, du simple avertissement à l’expulsion, et, pour les citoyens, en particulier ceux qui sont tenus à la laïcité par leurs fonctions, d’amendes et de la perte des droits civiques à l’exil et à la déchéance de nationalité.
  • La famille (conjoint et enfants mineurs) de chaque expulsé, par principe également expulsée pour respecter l’intégrité de la vie familiale, pourrait être autorisée à rester en France sous conditions.

Des jurys populaires, encadrés par des représentants de l’État (élus, fonctionnaires), pourraient être créés pour que les décisions soient issues du peuple. Ces décisions ne seraient pas soumises à l’arbitrage de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (c’est le cas semble-t-il dans d’autres États de l’Union européenne) et pourraient être rapidement prises et exécutées, conditions indispensables pour assurer efficacement le respect de ce code.

La mise en œuvre de ces mesures, comme l’expulsion d’une famille vers son pays d’origine, rencontrerait évidemment quelques difficultés. Celles-ci ne semblent pas insurmontables puisque mieux réglées par d’autres pays de l’Union européenne qu’actuellement par la France. Elle permettrait de rétablir un contrat clair entre la nation et les immigrés.

[1] Kintzler Catherine, 2008, Qu’est-ce que la laïcité, Vrin, Paris.
[2] Arendt Hannah, Qu’est-ce que l’autorité, in La crise de la culture, p. 250, Folio essais 1993.
[3] Dans les écoles privées confessionnelles, ce type de conflit ne peut exister puisque les parents leur confient leurs enfants volontairement.
[4] Une polémique est née lorsqu’une loi a été votée en 2005 dont l’article 4 recommande que « les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif de la présence française, notamment en Afrique du nord  […] ».
[5] Locke John, 1686, Lettre sur la tolérance, http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.loj.let
[6] Clermont-Tonnerre Stanislas (de), Le Moniteur Universel, 23 décembre 1789, p. 4.
[7] La Ligue de l’enseignement s’est prononcée en faveur de ce code lors de son audition par la Commission Stasi en 2004.
[1] La Ligue de l’enseignement s’est prononcée en faveur de ce code lors de son audition par la Commission Stasi en 2004.

Comments

  • Anonyme
    novembre 30, 2020

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  • Anonyme
    décembre 1, 2020

    4

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