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Retour sur le périple Grec et une faillite à péripéties (3/3) Par Louis Rouanet

Nous terminons notre périple de la faillite de la Grèce aujourd’hui. Attendez-vous à de nouveaux rebondissements à l’automne.

Hier, nous avons vu la période faste qui a coïncidé avec l’abandon du drachme et la création monétaire en euro. Aujourd’hui nous nous penchons sur les nombreuses faillites ou en jargon « restructurations de dettes » qui ont ensuite émaillé les années suivantes.

L’échec de la restructuration de la dette publique, 2009 – ?

Pourquoi l’économie grecque a-t-elle été incapable de rebondir et s’est enfoncée de manière si dramatique dans la dépression ? Corruption et déficiences financées par le contribuable européen, augmentation des impôts dans une économie déjà minée, incertitude politique peu propice au bon climat des affaires sont les trois coupables.

La baisse du niveau de vie des Grecs est la conséquence logique et inévitable de plusieurs décennies de politiques économiques désastreuses. Cette baisse serait survenue quelque soit la politique économique mise en place après la crise.

Inutile de blâmer les politiques de réduction de déficit. Quand un Etat est en faillite, il n’y a pas d’alternative entre l’austérité et laisser filer les déficits.

L’austérité n’a pas été pour la Grèce un choix mais une nécessité imposée par une vérité comptable universelle : il est impossible de dépenser plus d’argent que celui dont on dispose. Les politiques d’austérité n’ont pas été imposées par la Troïka (FMI, BCE, UE), elles ont été imposées par la réalité économique du pays.

L’économiste keynésien Joseph Stiglitz assure que « la contraction des dépenses publiques a été prévisiblement dévastatrice » pour l’économie grecque – sans mentionner le rôle des augmentations d’impôts pourtant massives. Il oublie que le gouvernement grec, après des décennies d’erreurs, n’a le choix qu’entre « réduire ses dépenses » ou « faire faillite et réduire ses dépenses ».

Admettons cependant que, comme le pense Stiglitz, l’analyse keynésienne soit valide. (1)

Admettons aussi la première hypothèse généreuse de l’OFCE selon laquelle le multiplicateur de dépenses publiques grec serait égal à 2,6 – i.e. 1 € de dépense public supplémentaire augmente de 2,6 € le PIB.(2)

Le simple maintien à leur niveau de 2009 des dépenses publiques en euro courant, intérêts sur la dette exclus, aurait généré un surplus de dette de plus de 17 Mds€ de 2009 à 2012. Si le multiplicateur de dépense grec était de 1,89 pendant cette période comme avancé par une autre étude (3), il aurait été nécessaire de financer 27 Mds€ de dette supplémentaire (4).Cette augmentation de l’offre de la dette par l’Etat grec aurait augmenté le taux d’intérêt sur la dette grecque. On peut supposer qu’elle aurait abouti au défaut pur et simple.

La logique du multiplicateur est fallacieuse (5). Essayer de s’enrichir en augmentant la consommation, c’est confondre la cause et l’effet de la croissance. Le problème d’une dépression ne vient pas d’une mythique déficience de la demande globale.

Les demandes et les offres sont deux faces d’une même pièce. L’offre de biens et de services est réduite quand le prix demandé par les producteurs est supérieur à ce que les consommateurs peuvent s’offrir ou, ce qui revient au même, quand le prix est considéré comme inférieur à ce qui est profitable. C’est seulement quand les prix s’ajustent correctement que les participants sur le marché arrêtent de retenir leur offre et que la crise peut cesser (6).

Le gouvernement grec a pris des mesures trop timides et trop tardives. Les politiques d’allègement des règlementations n’ont réellement commencé qu’après 2012 – après  les plus gros déclins du PIB grec. Jusqu’en 2010, le nombre de procédures pour immatriculer une entreprise était de 15. Il a fallu attendre 2013 pour que ce nombre soit réduit à 5.

Jusqu’en 2012, les coûts administratifs liés à la création d’une entreprise étaient toujours supérieurs à 20% du revenu moyen par habitant avant de diminuer pour atteindre finalement autour de 2% en 2014. Ce montant reste par ailleurs supérieur à celui de la France.

Jusqu’en 2013, le coût lié aux procédures d’enregistrement d’une propriété représentait plus de 11% de la valeur de la propriété en question.

Le coût d’application des contrats reste le plus élevé des pays de l’OCDE. En 2016, la Grèce était classée parmi les pires pays (133ème) par Doing Business concernant l’exécution des contrats et était classée 141ème concernant le transfert de propriété. En 2014, une procédure de dépôt de bilan prenait plus de trois ans.

Dans le secteur du tourisme, considéré souvent comme la locomotive de l’économie grecque, les entreprises doivent soumettre et/ou faire approuver leurs prix par le ministère du Tourisme ou par des associations d’acteurs. Ceci crée une rigidité artificielle des prix qui ne sont pas déterminés par l’offre et la demande (7).

La baisse de la demande globale en Grèce n’est pas la cause mais le symptôme d’une mauvaise coordination des différentes activités économiques.

Certes, il est incontestable que la valeur réelle des dépenses publiques a été réduite par 28% entre 2009 et 2016. Toutefois, le programme de privatisation n’a pas été mené à bien. Le gouvernement grec s’était engagé à privatiser pour un montant de 50 Mds€ en 2010, mais seulement 3 Mds€ d’actifs de l’Etat ont été vendus entre 2010 et 2015, soit 6% du montant envisagé (8). En 2014, cinq ans après le début de la crise, le FMI déclarait que l’Etat grec était propriétaire de 70 000 propriétés immobilières non utilisées ! (9)

L’effet le plus négatif vient certainement de l’augmentation massive des impôts. Juste après son élection en octobre 2009, prenant conscience que les statistiques budgétaires avaient été maquillées pendant des années, Georges Papandreou augmenta les impôts. Par la suite, le 14 janvier 2010, alors que la situation s’aggravait, le gouvernement grec annonça un plan de réduction des déficits de l’ordre de 10,6 Mds€ consistant pour les deux tiers d’augmentations d’impôt.

Les travailleurs, entrepreneurs et investisseurs anticipaient désormais une augmentation drastique de la pression fiscale. Ceci alimenta la dépression sans augmenter les recettes fiscales en raison de l’ampleur de la fraude et de l’exil fiscal.

L’ampleur du choc fiscal fut gigantesque.

La TVA passa de 13,2% à 17% entre 2009 et 2015. L’impôt sur les sociétés passa de 46,7% à 50,7% sur la même période. Les impôts sur la propriété foncière augmentèrent au point que les Grecs font désormais la queue pour renoncer à leur héritage ! En 2013, 29 200 personnes renoncèrent à l’héritage qui leur était légué, en 2015, ils étaient 45 627. En 2008, 90 718 parents avaient légué leur propriété à leurs enfants, en 2014 ils n’étaient plus que 23 221.

Les entrepreneurs anticipaient des coûts grandissants à cause des impôts dans un contexte déjà incertain. Nombre d’entreprises firent faillite. Les impôts fonciers firent sombrer l’immobilier et la construction. L’austérité fiscale fut une coupable incontestable dans la violence de la dépression grecque.

Images intégrées 2

Les politiques menées en Grèce ne méritent pas le qualificatif de « libérales ». Yanis Varoufakis, l’ancien ministre des finances du gouvernement SYRIZA, l’a lui-même admis :

« Les gens de gauche ont fait une très grosse erreur en disant : ‘les politiques de l’Eurozone sont néolibérales !’ Non, elles ne le sont pas ! Elles ne sont d’ailleurs même pas libérales. Permettez-moi de vous donner des exemples. Un néolibéral aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne serait en faveur d’une réduction des taxes. Alors que les Etats-Unis réduisent les taux d’imposition, j’ai été contraint de les augmenter de 20%. Il est évident pour n’importe quel néolibéral sérieux que cela n’est pas du tout la solution dans un pays qui rencontre des problèmes économiques et où personne ne paie ses impôts ! Vous souvenez-vous de la courbe de Laffer? Sans dire que je suis d’accord avec Laffer, l’idée est la suivante : si vous voulez plus d’impôts, vous devez réduire le taux d’imposition. Ce n’est pas ce qu’ils font en Europe, mais le contraire même ! Un autre exemple : qu’est-ce qu’un authentique libertarien ferait avec une dette impossible à rembourser ? Il dirait : ‘défaut de paiement.’ Faillite, faillite, faillite : faillite des banques, faillite pour les travailleurs, faillite pour tous ceux qui ne peuvent pas payer ! Que dit-on en Europe ? Une dette grecque non remboursable ? Donnez-leur-en plus ! Et augmentez tous les impôts pour donner à une dette non remboursable plus d’argent, plus de prêts. C’est un système féodal dont le but est de s’étendre et d’élargir son pouvoir de domination. »

Les plans de sauvetage européens, en plus d’alimenter l’aléa-moral, ont ralenti les réformes et ont donné un bouc émissaire aux élites grecques pour justifier leurs propres manquements. Inutile de blâmer le système de libre-entreprise et de concurrence pour la crise grecque dont l’origine vient de la constante violation de ce dernier.

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1- Ceci est en soit une concession très contestable. Comme l’écrit Haberler,  «  Il s’avère [que le multiplicateur] n’est pas un énoncé empirique nous disant quelque chose à propos du monde réel, mais un énoncé purement analytique à propos de l’usage consistent d’une terminologie arbitrairement choisie -une affirmation qui ne n’explique rien à propos de la réalité. […] L’idée théorique centrale de Mr. Keynes à propos de la relation entre la propension à consommer et le multiplicateur, qui est destiné à donner forme et une force à ces observations, s’avère ne pas être un constat empirique à propos du monde réel, mais une relation algébrique stérile qu’aucun fait ne peut prouver où réfuter.  » Dans : Haberler, G. (1936). Mr. Keynes’ theory of the “multiplier”. Journal of Economics7(3), 299-305. Voir aussi: Hazlitt, H. (1959). The Failure of the « New Economics », An Analysis of the Keynesian Fallacies. The Ludwig von Mises Institute. Auburn. p.135-155.

2- L’hypothèse faite ici est que la dépense de 1€ d’argent publique génère 2.6€ de PIB sur une période de 3 ans répartis de manière égale sur les trois années. Nous faisons un autre cadeau à nos adversaires en faisant l’hypothèse que le service de la dette n’aurait pas été affecté par une stabilisation des dépenses publiques. Les calculs sont ceux de l’auteur et les données utilisées viennent de l’OCDE.

3- Monokroussos, P., & Thomakos, D. (2013). Greek fiscal multipliers revisited. Eurobank Research Economy & Markets8(3), 1-29.

4- 1.89 est une estimation très optimiste. En 2013, quand le FMI déclara officiellement avoir fait une erreur dans son estimation du multiplicateur Grec depuis le début de la crise de 2009, ses nouvelles estimations se situaient entre 0.9 et 1.7. Dans le cas où la dépense publique grecque n’avait pas diminuée, et si nous acceptons ces chiffres, une estimation optimiste des besoins de financement de la dette supplémentaires se situe entre 29.7 et 40.9 milliards d’euros pour la période allant de 2009 à 2012.

5- Hutt, W. H. (1979). The Keynesian Episode. A Reassessment. Indianapolis, IN: Liberty Fund.

6- Pour plus de détails, voir : Hutt, W. H. (1974). Rehabilitation of Say’s Law, A. Ludwig von Mises Institute.

7- Hellenic Competition Commission. (2014). OECD competition assessment reviews. Greece. p. 207.

8- FMI. (Mai 2016). Preliminary Debt Sustainability Analysis – updated estimates and further considerations. IMF Country Report No. 16/130.

9- FMI. (June 2014). Fifth Review under the extended arrangement under the extended fund facility. IMF Country Report No. 14/151. p.29.

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