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Sommet européen : un pas vers le fédéralisme

Les chefs d’Etat et de gouvernement européens se sont finalement mis d’accord, mardi 21 juillet, sur le plan de relance qui doit aider les pays membres de l’Union européenne à affronter les conséquences économiques et sociales désastreuses de la pandémie du Covid-19. Avec 750 milliards d’euros à la clef, l’Europe en tant que telle s’est lancée dans une nouvelle aventure inflationniste, avec forcément la bénédiction de la Banque centrale européenne, et de sa présidente, Christine Lagarde, qui n’est plus la seule à dépenser sans compter.

En effet c’est la Commission de Bruxelles elle-même qui va pouvoir emprunter cette somme pharaonesque. Certes la Commission est classée A (le meilleur rang) par les agences de notation, ce qui lui garantit le taux d’intérêt les plus bas. Mais c’est tout de même la première fois qu’elle entre sur les marchés financiers par la grande porte, et en soi c’est une révolution.

Une nouvelle Europe est donc en train d’accoucher, plus fédérale et donc plus éloignée de l’Europe des Nations voulue par ses Pères fondateurs

Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi, Jean Monnet, Robert Schuman, Paul-Henriu Spaak.

Nous vivons un moment historique.

Emmanuel Macron, arborant un grand sourire, visiblement soulagé à l’issue d’un sommet marathon qui aura battu presque tous les records de longueur, a déclaré « Quand l’Allemagne et la France se mettent ensemble, elles ne peuvent pas tout, mais si elles ne se mettent pas ensemble rien n’est possible, a assuré le président français. Nous avons réussi à franchir ensemble beaucoup d’étapes pour l’unité européenne. Je suis convaincu que ce plan, ce budget sont de nature à répondre aux défis sanitaires, économiques et sociaux dans chacun de nos pays ». Au cours de la négociation, il avait menacé de quitter la table, et ce geste qui rappelait la « politique de la chaise vide » du général de Gaulle, a peut-être joué un rôle. En tout cas le tandem franco-allemand a été sans faille.

Les quatre pays dits « frugaux » (Pays-Bas, Autriche, Suède et Danemark), aux quels s’est adjoint la Finlande, étaient opposés à tout ce qui ressemble de près ou de loin à une mutualisation de la dette et à des transferts d’argent en faveur de pays peu orthodoxes sur le plan budgétaire. Les pays du Nord se sentaient peu solidaires des pays du Sud de l’Europe.

Ils ont obtenu de petites satisfactions sur le papier. En effet, sur les 750 milliards d’euros affectés au plan de relance, 390 milliards leur seront transférés d’ici à 2023, sous forme de subventions, et non 500 milliards, comme c’était prévu dans le plan initial. Du coup, ce sont 360 milliards qui seront prêtés aux Etats membres qui le souhaitent – et non 250 milliards comme dans le plan initial. La part des subventions a donc  diminué au profit des emprunts. Mais comme il se pourrait que ces emprunts ne soient jamais remboursés, cela ne fait pas une grande différence au final…

Les pays du Nord ont parfois été qualifiés de “radins” par la presse. Ils ne méritent pas cette injure ! Si on avait demandé au contribuable français de mettre la main à la poche pour venir au secours de son voisin italien ou espagnol, on sait bien par quel gros mot il aurait répondu…

En tout état de cause, de ce pactole tombé du ciel européen, la France devrait toucher près de 40 milliards, qui lui permettront de financer en partie son propre plan de relance à 100 milliards. L’Espagne aura droit à une soixantaine de milliards et l’Italie à quelque 70 milliards.

Si Angela Merkel n’avait pas retourné sa veste pour danser avec Macron la valse des milliards, bien sûr toute cette musique se serait interrompue..

Il y a une énigme dans cette histoire, c’est le changement de pied de la chancelière allemande, qui de “radine” est devenue « généreuse ».

Dans un pays soit-disant démocratique, la chancelière se comporte parfois d’une manière bien cavalière, pour ne pas dire autocratique. Elle décide souverainement de l’abandon du nucléaire, de l’accueil d’un million de réfugiés, et maintenant de la sagesse budgétaire qui était la marque de l’Allemagne aux yeux du monde entier.

Peut-être est-elle finalement une lointaine disciple du plus grand des économistes allemands, à savoir Friedrich List.

Né en 1789 à Reutlingen, petite cité de l’Allemagne du Sud, alors ville libre, mort par suicide en 1846, List passe pour le père du « protectionnisme éducateur ». En fait c’est un opposant farouche au libre-échange défendu à l’époque  par de célèbres économistes anglais (Smith, Ricardo, Stuart Mill) ou français (Turgot, Jean-Baptiste Say, Bastiat). Et malheureusement, il fera beaucoup d’émules non seulement dans son pays, mais aussi dans le monde entier. En France, depuis quelques années, des antimondialistes ont essayé de le remettre à la mode grâce à la réédition en français de son maître ouvrage, Le Système national d’économie politique (Gallimard, 1998, avec une préface d’Emmanuel Todd, farouche et incohérent pourfendeur du libéralisme sous toutes ses formes).

Or cet ouvrage massif de 550 pages contient une phrase qui en dit long sur la nature du protectionnisme listien, une phrase d’une brûlante actualité :

« La Hollande, prétend List, est une province allemande, séparée à l’époque des déchirements intestins de la contrée, et qui doit lui être de nouveau incorporée, sans quoi l’Allemagne ressemblerait à une maison dont la porte serait la propriété d’un étranger. »

La “porte” en question, c’est évidemment l’embouchure du Rhin que la Hollande s’est appropriée indument selon l’économiste allemand.

List va même jusqu’à poser la question : que diraient les Français si Marseille, qui contrôle le débouché du Rhone dans la Mediterranée, réclamait son indépendance ? Sans doute List avait-il en tête l’expérience de l’Empire napoléonien, dont il était contemporain. Les Pays-Bas avaient été intégrés de force à l’empire fondé par Napoléon Bonaparte, empire qui comportait un département intitulé, les Bouches-du- Rhin, une sorte de jumeau nordique de notre département des Bouches-du-Rhône.

Cette les Pays-Bas d’aujourd’hui, qui ont toujours été champions du libre-échange, ne sont pas un « département » de l’Union européenne, mais un pays souverain. C’est pourquoi, en la personne de leur courageux premier ministre, Mark Rutte, ils ont pris la tête des “pays frugaux” contre le diktat franco-allemand, avec sans doute le souvenir des invasions françaises et allemandes qu’ils ont subies dans le passé. Ils ont fini par céder sous la pression de circonstances exceptionnelles, dues à ce méchant virus qui nous terrorise. Ce n’est pas forcément un bon signe ni pour la démocratie européenne ni pour l’avenir de notre vieux continent.

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