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Transition écologique : vert mais pas Français

Philippe Simonot économiste, ancien professeur d’économie du droit à l’université de Nanterre et de Versailles


« Ils vendent le site de la Smart et donc ils cherchent un repreneur. (…) Ils nous abandonnent », a déclaré le 3 juillet dernier à l’Agence France-presse Jean-Luc Bielitz, représentant CGT sur le site Smart à Hambach (Moselle), qui emploie entre 1 400 et 1 500 salariés. La direction du site venait d’annoncer la décision du constructeur allemand Daimler de vendre l’usine, où devait commencer à l’automne la production de modèles du constructeur Mercedes.
En fait, le projet de produire la Smart sur le site mosellan avait été abandonné depuis plus d’un an. En mars 2019, rappelons-le, Daimler, propriétaire des marques Mercedes-Benz et Smart, avait annoncé la fin de la production de la petite citadine en France et sa délocalisation en Chine à partir de 2022. A la place, des Mercedes électriques haut de gamme devaient être fabriquées à Hambach à partir de l’automne 2020. Pour adapter le site mosellan à cette production, Daimler avait décidé d’investir 500 millions d’euros. La pandémie a eu raison de cette coûteuse adaptation du site.
Les salariés de Hambach sont aujourd’hui d’autant plus amers qu’ils avaient approuvé en 2015 ce que l’on avait appelé le « Pacte 2020 » pour les rassurer. Ce pacte prévoyait le retour à 39 heures de travail hebdomadaires, payées 37, avec un rétablissement des 35 heures en 2020. « Tout ce qu’on nous promettait, les embauches, la reprise d’activité, la pérennité du site… On peut faire tous les efforts qu’on veut, le groupe nous lâche après avoir tiré le maximum des salariés », a regretté M. Bielitz. « On a fait des sacrifices pour avoir des projets, on a eu des projets et maintenant on nous dégage ! », a dénoncé de son côté Mario Mutzette, délégué CFE-CGC.
Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a appelé Daimler « à garder toutes les options ouvertes, y compris celle de conserver le site »« Je souhaite que l’avenir de ce site moderne et exemplaire qui a fait le choix de la transition écologique en produisant notamment des véhicules électriques soit assuré », a dit le ministre, rappelant que l’usine « est un site symbolique de la relation industrielle franco-allemande ». Paroles, paroles…
Certes, depuis quelques semaines, grâce au renouveau du dialogue Macron-Merkel, la coopération franco-allemande a retrouvé de la vigueur, ce dont on ne peut que se féliciter car rien ne pourra se faire au niveau européen sans une entente entre la France et l’Allemagne. Mais pour les salariés de Hambach, ces considérations sont à des niveaux stratosphériques au-dessus de leurs préoccupations du moment. Pourtant le site mosellan surnommé Smartville avait été inauguré en 1997 par Helmut Kohl et Jacques Chirac, et il était le « symbole de la relation industrielle franco-allemande », dixit Le Maire.
Les malheureux employés français de Mercedes comprennent, mais un peu tard, que produire français, ce n’est pas forcément produire “vert”, et que si les Français veulent acheter des voitures électriques – grâce, rappelons-le en passant, à des aides de l’Etat – ils devront acheter des voitures produites à l’étranger, notamment en Chine qui est devenue en quelques années la grande championne dans ce domaine et le partenaire incontournable pour toute l’industrie automobile de la planète.
Le prix d’une voiture électrique est fonction principalement de la batterie, dont dépend la performance du véhicule en matière d’autonomie et de vitesse. Mais aujourd’hui ces batteries sont importées d’Asie. Et si les producteurs asiatiques cherchent à localiser une part croissante de leur production en Europe, ils ne choisissent pas la France. LG Chem (Corée du Sud) compte s’installer en Pologne, Samsung SDI (Corée du Sud) en Hongrie, et CATL, leader mondial chinois dans ce domaine essentiel, en l’Allemagne. SK Group (Corée du Sud) devrait faire un choix similaire. Une sorte de cluster industriel, pour reprendre un mot malheureusement à la mode.
D’autres industries dites “vertes” sont vouées elles aussi à ne pas être françaises.
Par exemple l’éolien. Un projet pour la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie avait été mis au point début 2019. Il avait pour objectif une puissance cumulée de 24,6 GW d’ici 2023 et d’au moins 34,1 GW d’ici 2028. C’est-à-dire plus du double de la puissance installée aujourd’hui. Sans doute va-t-on vouloir encore accélérer ce programme sous la pression des écologistes. Or, plus des trois quarts des éoliennes installées en France sont d’origine étrangère, principalement allemandes, danoises, espagnoles. Là aussi il va falloir importer la plupart de ces gigantesques moulins à vent….
Quant aux panneaux solaires, ce n’est pas seulement la France qui a capitulé devant le made in China, c ‘est l’Europe. La décision a été prise le 3 septembre 2018 par la Commission européenne. A partir de cette date, les panneaux et cellules solaires chinois ont débarqué pratiquement sans restriction dans le Vieux Continent. Ainsi l’Europe a-t-elle entériné son échec patent à maintenir une filière industrielle dans ce domaine pourtant vital pour son écologie.
Même le bois, qui pourrait écologiquement remplacer le ciment dans le bâtiment, n’échappe pas à la règle « vert mais pas français ». Pourtant, la France dispose de la 3ème surface forestière européenne. Mais les scieries françaises ont fermé les unes après les autres pour des problèmes de coût et de main d’oeuvre. Du coup, les billes de bois sorties des coupes sont envoyées en Chine pour revenir en France sous forme de parquets et autres produits de menuiserie. Comme si la France était un pays « sous-développé » exportant sa matière première pour importer des produits finis.
Cerise sur le gâteau, avec une forte odeur de pétrole. Au moment où nous écrivons ces lignes, le prix du baril est à 43 dollars. De quoi réconforter les automobilistes qui font leur plein d’essence ou de gasoil ou les braves gens qui remplissent en ce moment leurs cuves à fuel…Ce n’est pas à eux qu’il faut parler d’énergies renouvelables aujourd’hui !
Pour que le “vert” devienne français, il faudrait investir massivement dans les industries vertes. C’est-à-dire que l’Etat va subventionner à la fois l’offre et la demande dans ce domaine. Une sorte de soviétisation rampante avec à la clef des contrôles bureaucratiques de plus en plus tatillons. De quoi ravir les écologistes de tous bords qui réclament à cors et à cris le retour de l’Etat dans l’économie française. Comme s’il avait disparu !
En même temps les activités sinistrées par la crise sanitaire (santé, tourisme, hôtellerie, restauration, aviation, transport aérien, automobile classique, etc..), qui ne sont pas vertes du tout, réclament elles aussi subventions, aides, détaxations en tous genres pour seulement tenir le coup hic et nunc. Comme en France, les calculs politiques et sociaux privilégient le présent et le court terme par rapport au long terme, le « vert mais pas français » risque de perdurer longtemps.

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