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«Un nouveau Brétigny ne doit plus être possible» Par Francesco Bertolucci

«Les victimes attendent avec impatience une mise en concurrence prenante sur les gestionnaires de réseaux pour que la sécurité soit au cœur même des enjeux de l’entreprise candidate. C’est pour cet enjeu majeur que les associations de victimes européennes doivent s’associer pour peser sur les pouvoirs publics et faire entendre leurs douleurs et leurs colères. Les politiques technico-économiques doivent être combattues et anéanties pour la sécurité des usagers», a déclaré Thierry Gomès, président Entraide et Défense des Victimes de la Catastrophe de Brétigny-sur-Orge (Edvcb).

Quelques jours avant le verdict du procès de l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge, la SNCF a été reconnue coupable d’homicides et blessures involontaires, et condamnée à une amende de 300.000 euros. Thierry Gomès n’a, donc, pas utilisé de demi-mesures pour exprimer sa préoccupation pour la sécurité ferroviaire française et européenne.

L’accident de Brétigny-sur-Orge de 2013 qui a fait 7 morts et des centaines de blessés à cause du déraillement d’un train Intercités reliant la gare de Paris-Austerlitz à celle de Limoges-Bénédictins, n’était pas un cas unique. Depuis le début du 2013, les incidents, les morts et les blessés ont été nombreux sur tout le réseau français et européen. Seulement, en 2020, sur le réseau ferroviaire français, on a eu 105 accidents significatifs – moins qu’en 2019 quand ils furent 123 – qui ont causé 44 morts et 28 blessés. En 2021 les morts ont été de 44. 

«Le système ferroviaire européen est le plus sûr au monde», explique Laurent Cébulski, directeur général de l’Autorité française de sécurité ferroviaire (EPSF). Et, les statistiques confirment que les trains seraient absolument plus sûrs par rapport aux voitures: «Même en ayant moins d’accidents graves par rapport aux années 2017/2018, qui avait été préoccupants, compte tenu des conséquences très importantes en cas d’accident nous restons très vigilants sur le transport de marchandises dangereuses». 

Le rapport 2022 sur la sécurité ferroviaire et interopérabilité achevé cette année indique un total de 1331 accidents significatifs en 2020 dans les Etats de l’UE, soit près de quatre par jour. Il s’agirait du plus faible nombre d’accidents depuis 2010, mais, il faut tenir compte du fait que le confinement des personnes à leur domicile en raison de la pandémie a diminué le nombre d’accidents dits externes, c’est-à-dire ceux impliquant des intrus et des usagers de passages à niveau. Les collisions, en revanche, ont augmenté, et l’ensemble des données révèle une différence d’au moins 10 fois dans les taux de mortalité entre les pays les plus et les moins vertueux. En ce qui concerne spécifiquement le transport de marchandises dangereuses, 53 accidents ont été signalés dans 10 Etats membres de l’UE en 2020. Dix-sept de ces accidents ont entraîné la libération des marchandises dangereuses transportées. 

Pour réduire les émissions de CO2, le transport ferroviaire de marchandises va augmenter dans les années à venir. En 2011 déjà, la Commission européenne a fixé l’objectif de transférer, d’ici 2030, 30% des marchandises transportées sur plus de 300 kilomètres par la route vers d’autres modes de transport et de porter ce chiffre à plus de 50% d’ici 2050. Si tel était le cas, les marchandises transportées par le rail passeraient des 420 milliards de tonnes par kilomètre actuels à environ 1.000 milliards en 2030. Pour atteindre son quota, la France devrait transférer sur rails 90% des marchandises transportées sur 500 kilomètres et 50% de celles transportées sur 300. Après le déraillement d’un wagon-citerne le 1er septembre 2017 à Brigue, l’enquête menée ensuite par le Service suisse d’enquête de sécurité (SESE) a conduit à un renforcement des mesures de sécurité en Suisse. Depuis fin 2018, les trains de marchandises transportant du chlore sur le territoire suisse doivent également être équipés de détecteurs de déraillement. Un mécanisme qui n’empêche pas directement le déraillement mais déclenche immédiatement le système de freinage d’urgence qui arrête le train s’il détecte des mouvements anormaux. C’est un dispositif déjà présent sur de nombreux trains suisses ayant franchi les frontières en 1999, mais pas sur la majorité des trains de marchandises circulant en Europe. 

Dans l’UE, en effet, elle n’est pas obligatoire. Si l’on considère que tant de gares européennes sont, désormais, automatisées et dépourvues de chef de gare qui pourrait signaler les anomalies, et que les trajets de fret entre Etats sont à l’ordre du jour, son absence expose potentiellement chaque ville à des risques. Le 17 juin, l’ERA (Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer) a clôturé les consultations dans lesquelles les partenaires sociaux pouvaient proposer des changements sur des questions susceptibles d’avoir un impact direct sur l’environnement social ou sur les conditions de travail des cheminots. 

L’association Il mondo che vorrei formée par les familiers des victimes de l’accident ferroviaire de Viareggio en Italie en 2009 qui a fait 32 morts, a proposé de rendre obligatoire les détecteurs de déraillement sur les trains de marchandises circulant en Europe. Si la proposition obtient le feu vert, les détecteurs entreraient alors en vigueur dans les 12 mois suivant son acceptation sur les wagons des trains transportant des substances dangereuses et dans les 24 mois sur tous les trains de marchandises. Et après cela, on pourrait logiquement l’envisager pour les trains à grande vitesse et les trains de passagers également, en évitant de graves conséquences. 

En fait, la présence du détecteur aurait, également, pu donner des conséquences moins graves à l’accident de Brétigny. «Le détecteur de déraillement, il s’agit d’un système qui coûte moins de mille euros, et non des millions», m’ a déclaré Marco Piagentini, le président de l’association «Il mondo che vorrei», qui a perdu sa femme et deux fils dans l’accident de Viareggio, lors d’un entretien réalisé avec lui. 

Aujourd’hui, il se bat pour la sécurité ferroviaire en Europe. «Nous demandons à l’Europe: augmentez-la sécurité et rendez-la obligatoire, nous voulons que les gens soient en sécurité. Tant pour les frets que pour les autres trains. Un autre Viareggio ou un nouveau Brétigny ne doit plus être possible», a-t-il rajouté durant notre rencontre. 

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