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Un pays peut-il troquer son territoire ? Par Philippe DE VILLIERS

« La France porte dans le monde entier ses valeurs universelles », proclamait-on à la Sorbonne il y a un siècle. On était dans la fierté républicaine. On prenait un petit air supérieur. L’Occidental se rêvait en
colon des coraux lointains. Tout au long de ma vie, j’ai entendu parler du fameux « universalisme
républicain ». C’était l’idée que la citoyenneté répondait à une conception abstraite, et qu’au nom de l’égalité le citoyen avait le statut d’un électron libre, non surdéterminé par sa race, sa religion, son orientation sexuelle.
L’égalité était censée supprimer les discriminations et favoriser l’unité de destin. Ce qui était convenable pour la France pourrait, pensait-on, convenir au monde entier.
Aujourd’hui, nous sommes à des années-lumière d’une telle prétention. Le républicanisme transcendantal n’est plus qu’un ciel de traîne d’un temps révolu. Le principe de non-discrimination a tout inversé, tout
emporté. La citoyenneté est contre battue par le nouveau principe des minorités. Nous sommes revenus à une « société de privilèges ». Mais ce ne sont plus les mêmes privilégiés. C’est un paradoxe. Par un mimétisme où l’histoire a déposé ses ruses discrètes, le nouveau régime finit par
ressembler à l’ancien. Bientôt, ce seront les « racisés » et les « décoloniaux » qui tiendront la dragée haute aux bourgeois de Calais, robe de bure, tête cendrée, un genou à terre, offrant les clés du caravansérail. La
Blanchité va devoir rembourser les colonies, rembourser son passé. Tout cela s’est accompli pendant que la République expirait sous les murs de Maastricht. La République, c’était la citoyenneté et la souveraineté.
Les deux ont disparu, liquidées par notre classe politique en cinquante ans. Elle s’en est débarrassée. Marie-France Garaud m’a dit cent fois : « C’était trop lourd pour elle. » La République a un point commun avec d’Artagnan : elle est morte à Maastricht.

Tout au long de ma vie, j’ai entendu parler du fameux « universalisme
républicain ». C’était l’idée que la citoyenneté répondait à une conception
abstraite, et qu’au nom de l’égalité le citoyen avait le statut d’un électron
libre, non surdéterminé par sa race, sa religion, son orientation sexuelle


Quand j’étais à Sciences Po, en 1972, nos maîtres de conférences vantaient encore les mérites du multiculturalisme pacificateur. C’était, nous assurait-on, notre futur, la ligne de fuite inéluctable. Ils nous mettaient sous les yeux le modèle d’avenir d’un pays de l’Orient qui pratiquait l’entremêlement harmonieux des religions, des mémoires actives et des voisinages multiethniques. Un pays de cocagne. Nous étions fascinés. Ce pays, c’était le Liban, à l’abri du Cèdre majestueux, une sorte de val biblique où montaient les volutes d’encens sur le Chouf, un petit paraclet où coulaient le lait et le miel.
On connaît la suite. Qu’est-il donc resté du rêve libanais ? L’exil, le Hezbollah et le sang caillé. Le lait et le miel ne coulent plus dans la plaine de la Bekaa. Toutes les anciennes harmonies se sont évanouies. Le Liban douloureux d’aujourd’hui, cher à mon cœur, écorché vif, nous enseigne, hélas, une loi : que la société multiculturelle devient vite multi conflictuelle et, plus encore, multiculturelle. Il n’y a pas de contre-exemple. Or, de quoi parle-t-on, aujourd’hui, dans les cercles de réflexion
prospective ?

De la libanisation de la France. On a outragé le mot de Bainville qui avait tout dit : « La France, c’est mieux qu’une race, c’est une nation. » La France est, dans son principe même, une nation multiethnique mais
uniculturelle. La Martinique est devenue française avant la Corse. La France n’a pas vocation à se muer en un espace où on assigne à résidence ethnique les communautés. La francisation est un enjeu de survie pour un pays dont l’unité profonde est menacée. La francisation n’est pas, pour quiconque vient vers elle, une mutilation mais une greffe de tendresse.
Alors, il faut s’interroger, plus encore que sur l’urgence, sur la nature de la greffe. Que pourrait-on greffer ? La République ? Elle est partie chez l’impératrice von der Leyen, qui la surnomme « Gulliver empêtré ». La laïcité ? C’est le vide spirituel. Il y aura un rejet de la greffe. L’irréligion n’est pas une greffe. Le nouveau modèle sociétal du genre ? Voici venir les premières générations antigénéalogiques. L’autoengendrement n’est pas une greffe. Non, ce qu’on peut greffer, c’est ce qui nous vient non pas d’un régime, toujours contingent, mais d’un fonds culturel ancestral, inépuisable : l’universalisme français. C’est facile, c’est possible, car la France est un résumé du monde entier.

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