Le monde est confronté à un phénomène inédit de vieillissement de la population, fruit d’un double mouvement de baisse de la fécondité et d’allongement de l’espérance de vie. Ce phénomène touche tous les pays, bien qu’avec une ampleur variable. Le Japon est aux avant-postes de la transition démographique, mais le reste du monde avancé lui emboîte désormais le pas. La démographie dans le monde développé est à un tournant. D’après l’ONU, la population en âge de travailler des économies avancées a vraisemblablement atteint un pic et devrait reculer de plus de 5 % dans les cinq prochaines décennies. En Chine, elle devrait s’effondrer d’un tiers d’ici 2065. Parallèlement, dans ces pays, la proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus va grimper en flèche. Cette étude a pour objet d’examiner les effets du vieillissement de la population sur la dynamique des prix. Jusqu’ici, peu de travaux théoriques ou empiriques ont été consacrés à ce sujet, et les rares recherches existantes ne sont pas concluantes. Des études récentes suggèrent que les pays où la population vieillit rapidement pourraient être confrontés à des tensions inflationnistes croissantes, ce qui va à l’encontre de l’opinion générale, qui veut que le vieillissement de la population soit par nature déflationniste. Au cours des deux dernières décennies, le Japon a connu la phase d’évolution démographique qui attend la majorité des économies développées dans les cinquante prochaines années, et le pays s’est enlisé dans la déflation. Aujourd’hui, de nombreux pays vieillissants sont aux prises avec une inflation faible, voire négative. S’il est possible que le vieillissement de la population entraîne des pressions inflationnistes à l’avenir, l’expérience nippone tend néanmoins à suggérer que le contraire reste plus probable.
Sept ans après la crise financière internationale, la croissance des économies avancées ne cesse de décevoir et l’inflation reste obstinément inférieure à l’objectif des banques centrales. Les économistes ont avancé toute une palette d’explications à cette fragilité macroéconomique : endettement excessif, dégradation progressive du potentiel de croissance ou encore réduction graduelle de la marge de manœuvre en matière de politique économique, tant sur le plan budgétaire que monétaire. Mais les observateurs sont de plus en plus nombreux à pointer le rôle potentiel des tendances démographiques dans cette contreperformance économique. Récemment, un certain nombre de banquiers centraux et de chercheurs ont émis l’hypothèse d’un lien entre faiblesse de l’inflation et vieillissement de la population. Le Japon, dont la population diminue et vieillit plus vite que dans aucun autre pays du monde (voir encadré 1), est à l’avant-garde de la transition démographique, et ce pays s’est enlisé dans une déflation durable. Il est plus que probable que le déclin et le vieillissement de la population ont joué un rôle non négligeable dans la stagnation économique et la déflation dont souffre l’archipel depuis des décennies.
Aujourd’hui, plusieurs pays européens emboîtent le pas du Japon, ayant accusé des baisses de leur taux de fécondité plus précoces et plus marquées que d’autres économies développées telles que les États-Unis. Cela a conduit un certain nombre d’observateurs à penser que, sauf augmentation significative de l’immigration, ces pays risquent un destin à la japonaise. Si les économistes s’accordent généralement sur le fait que le vieillissement de la population engendre des coûts budgétaires et limite le potentiel de croissance1 , rares sont les travaux théoriques ou empiriques portant sur le lien qui pourrait exister entre vieillissement et inflation.
L’impact du vieillissement sur la dynamique des prix est ambigu sur le plan théorique en raison de la mise en œuvre de plusieurs mécanismes aux effets contradictoires. Nous commencerons cette étude par une description rapide des grandes caractéristiques de la transition démographique que connaît actuellement le monde. Ensuite, nous examinerons les principaux mécanismes théoriques par le biais desquels la démographie est susceptible d’affecter l’inflation. Nous montrerons que le vieillissement de la population peut influencer la dynamique des prix au travers d’un large éventail de variables macroéconomiques clés. Au final, nous conclurons que la théorie ne permet pas de prouver de façon définitive comment l’évolution démographique peut peser sur l’évolution de l’inflation. Quel impact – le cas échéant – le vieillissement sans précédent que connaît la population mondiale peut-il avoir sur l’inflation ? Nul doute que cette question a vocation à devenir un sujet brûlant d’actualité et un enjeu majeur de politique à moyen et long terme, tant les implications du vieillissement sont potentiellement importantes pour les États, les banques centrales et le secteur de la banque au sens large2 . 1 Voir, par exemple, Fonds monétaire international (2004), La transition démographique mondiale, Perspectives de l’économie mondiale, Washington D.C., septembre. Voir le chapitre III, « Quelle influence la transition démographique aura-t-elle sur l’économie mondiale ? », pp. 145- 186. 2 Pour l’ONU, une population « vieillit » lorsque les personnes âgées de 65 ans et plus représentent plus de 7 % de la population totale. Lorsque ce pourcentage passe à 14 %, elle parle de « population âgée » puis, au-delà de 20 %, de « population très âgée
Le terme « transition démographique » désigne le processus de modernisation des sociétés, qui passent d’un régime pré-moderne caractérisé par des taux de natalité et de mortalité élevés à un régime postmoderne, où ces deux variables sont basses3 . Avant le début de la transition, la population croît lentement en raison de l’importance de la natalité et de la mortalité. La transition débute lorsque le taux de mortalité commence à baisser (principalement en raison d’une augmentation du taux de survie des nourrissons et des enfants), entraînant une accélération de la croissance de la population. La part des jeunes (enfants et adultes) dans la population s’inscrit alors en hausse : c’est la génération du « boom ». Bien sûr, ce « surcroît » de jeunes lié au recul de la mortalité lors de la première phase de la transition démographique, n’est que temporaire, puisque cette génération avance progressivement dans la pyramide des âges. Dans un second temps, à un stade intermédiaire de la transition, le taux de fécondité amorce un repli (en partie en raison des progrès éducatifs et d’un recours accru à la contraception), faisant reculer le nombre d’enfants et augmenter la proportion de personnes en âge de travailler (en règle générale, la tranche des 15- 64 ans). La population en âge de travailler produisant le plus gros de l’activité économique, le revenu par habitant progresse alors plus rapidement, générant ce que les économistes appellent souvent l’« embellie démographique » (« sweet spot ») ou le « dividende démographique ». Mais la génération du boom finit par vieillir. Conjuguée à la baisse de la fécondité et à l’allongement de l’espérance de vie, cette « vague de vieillissement » limite l’augmentation du nombre de personnes en âge de travailler et dope celle du nombre de personnes âgées : le dividende démographique disparaît, pour finalement s’inverser.
Pendant la dernière phase de la transition démographique, la faiblesse des taux de mortalité et de fécondité se traduit par une progression de la proportion de personnes âgées (le phénomène dit du « vieillissement de la population »), ce qui entraîne une accentuation de la dépendance et accroît la pression sur les systèmes de soutien aux familles et les programmes de transferts publics (retraite et maladie). Aujourd’hui, un vieillissement inédit de la population est à l’œuvre dans la majeure partie des pays développés. L’embellie démographique que le monde avancé a connue depuis les années 1970, époque où la grande cohorte du baby-boom d’après-guerre (née entre 1946 et 1964) est entrée sur le marché du travail, touche désormais à sa fin. Associé aux conséquences de la baisse passée du taux de natalité, le départ en retraite de la vague des baby-boomers entraîne une inversion du ratio population en âge de travailler/personnes âgées, alors que le nombre des plus de 65 ans dans les économies avancées progresse à un rythme inédit. RALENTISSEMENT DE LA CROISSANCE DE LA POPULATION Jusqu’au début du XXe siècle, la croissance de la population mondiale était lente4 . Elle a ensuite accéléré pour atteindre un pic à 2 % par an au milieu des années 1960 en raison de la baisse inédite des taux de mortalité5 . L’augmentation de l’espérance de vie a débuté dans les pays avancés, puis s’est propagée aux zones moins favorisées. Elle est le fruit de multiples facteurs tels que l’amélioration du niveau de vie, une meilleure nutrition, les progrès de la technologie médicale, l’augmentation du niveau de formation et, surtout, dans les pays à faible revenu, les progrès
Anonyme
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