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Zemmour – Poutine, même combat

 

L’un est un nouveau maître à penser dans une France en plein doute ; l’autre est le nouveau tsar d’une Russie en pleine confiance. Officiant à deux extrémités de l’Europe, ils mènent, sans se concentrer, le même combat qui s’articule autour de cinq axes.

Le culte du passé

Les deux sanctuarisent le passé, comme si leurs horloges mentales étaient coincées. Celle de Zemmour sur la lignée Colbert – Bonaparte – De Gaulle.  Celle de Poutine aux années 1970, quand il faisait ses études au KGB pendant la « guerre froide ».

Depuis, ils ont oublié de grandir. Leurs logiciels mentaux n’ont pas intégré le changement. Ainsi, l’un déduit tous les maux de la France contemporaine de Mai 68, alors que l’autre fustige la dissolution de l’URSS comme le plus grand désastre du XXe siècle, qui n’en finirait pas de façonner le présent. Autrement dit, 1968 en France pour Zemmour, c’est l’équivalent de 1991 en Russie, pour Poutine. Genèse de la chute. Cause de l’anomie. Bûcher qui a brûlé l’âme nationale.

Vu sous cet angle, l’avenir n’est plus une construction, mais un  replay  de déjà-vu.

La crispation identitaire

C’est un fantasme de pureté raciale, et ce, dans une société utopique, où les autochtones (« les mâles blancs hétérosexuels », pour reprendre le vocabulaire du « Suicide Français ») ne se mélangent jamais avec les étrangers. Comme l’huile et le vinaigre. Par référence aux Français et aux Arabes, selon Zemmour.

En écho, le président russe se pose en tigre « qui ne lâchera jamais sa taïga » et rêve d’une Russie qui s’étendra partout où « il y a un Russe qui parle russe ».

Du coup, le patriotisme proclamé vire à la haine de l’Autre, celui-ci étant perçu comme un danger. Qu’il s’agisse d’un immigré qui « bouffe le pain des Français », ou de l’Occident,  qui, emmené par le président américain noir, tente d’« humilier la Russie » et de « détruire ses valeurs ».

La phobie de la liberté individuelle

Les deux protagonistes préfèrent l’ordre et la stabilité, en rejetant la liberté comme synonyme de chaos. L’Etre Humain – l’alpha et l’oméga de tout ? Pilote de sa vie ? Balivernes ! L’individu n’est qu’un « rouage ». Comme le disait Staline.

Dans cet esprit, Zemmour exalte le monde d’avant la chute du Mur de Berlin – celui qui privait de liberté la moitié de la planète – et exècre la « République – Potemkine » et la société, qui à son avis, a « asservi l’Etat en le ligotant ».  Or Poutine, lui, invente le concept de « démocratie dirigée », comme si les Russes étaient génétiquement inaptes à la démocratie tout court, et lamine au passage toute opposition qu’il n’a pas désignée lui-même.

L’antiaméricanisme pavlovien

Les deux se rejoignent aussi dans l’aversion viscérale que suscitent chez eux les Etats-Unis. Ils semblent être obsédés par ce pays. Pour eux, c’est l’incarnation de Satan. Ils voient partout sa main néfaste.

Construction européenne ? Cache-sexe de la Pax americana. Jean Monnet ? Mikhaïl Khodorkovski ? Hommes – liges des Américains. Pays – membres de l’UE ? Vassaux de Washington. Maïdan ? Complot fomenté par la CIA. What else ?..

Sur ce point, les discours de nos deux frères siamois sont tellement convergents qu’il est parfois difficile de les distinguer. Avec cette particularité effrayante, et difficilement égalable, que s’est permise un porte–parole officieux de Poutine, la star de la TV russe, Kissilev, ayant qualifié la Russie de « seul pays au monde, capable de transformer les Etats-Unis en cendres radioactives ».

A mon avis, Zemmour et Poutine ont besoin d’un bon MBA – en anglais – pour corriger leur lecture d’un pays qui n’a plus ni l’intention, ni les moyens de régenter le monde, tout en restant la principale source des innovations à l’échelle planétaire.

Déni de globalisation

Enfin, leur plus grave erreur de jugement réside dans la totale ignorance de ce qui constitue la quintessence des réalités quotidiennes du XXIe siècle, à savoir la globalisation, conçue, fondamentalement, comme l’interconnexion et l’interdépendance des gens, des places et des idées. Ce n’est pas une idéologie, ni une monnaie d’échanges dans le combat entre la gauche et la droite.  Ni une infection propagée par Wall Street. C’est tout simplement l’air que nous respirons tous, indépendamment de notre géolocalisation et de nos différences naturelles. Tous, partout et à tout instant.

Renier cette réalité – évidente, aujourd’hui, de Shanghai à San-Francisco, de Kirkenes à Johannesburg, sur une planète, qui compte déjà 3 milliards d’internautes et où un clic efface instantanément les frontières – c’est, au mieux, se tromper de siècle, à l’exemple de ceux qui s’accrochaient à la traction animale après l’invention de la machine à vapeur. Au pire, inciter au « suicide français ». Et russe.

A la fin du XVIIIe siècle, Catherine II, qui présidait aux destinées de la Russie, écrivait à Diderot, son mentor intellectuel : « Vous ne travaillez que sur le papier, alors que moi, je travaille sur la peau humaine qui est beaucoup plus sensible ». Curieux clin d’œil de l’Histoire : en ce début du nouveau millénaire, Zemmour se contente, pour le moment, de déplorer la France « défaite », en maraboutant ses compatriotes, tandis que Poutine « refait » réellement la Russie, en verrouillant l’avenir de ses jeunes générations et en transformant son pays en un danger pour la paix dans la monde.

Alexandre MelnikProfesseur de géopolitique

 

 

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