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Crise du lait : Lactalis est-elle vraiment coupable ?

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Pointée du doigt depuis le début de la crise et a plusieurs reprises attaquée par les producteurs, la firme Lactalis fait office de coupable parfait dans une situation pourtant gangrenée à l’origine.

Comment ne pas se sentir solidaire des producteurs de lait pris à la gorge ? Bien cruel celui que la diffusion des images de leur détresse n’émeut pas. Comment ne pas supposer Lactalis coupable d’exploiter la France rurale ? Tout travail mérite salaire, pensons-nous spontanément. Est-ce si simple ? Après tout, la situation de nos agriculteurs diffère peu de celles des secteurs industriels souffrant de la pression d’une concurrence globalisée. Mais contrairement à eux, les producteurs de lait ont vécu jusqu’au bout dans l’illusion qu’il n’y avait pas de marché du lait. Nos agriculteurs se sont laissé piéger par la PAC… et par les ministres de l’Agriculture qui ont tenté d’acheter leurs voix en niant la réalité de l’offre et de la demande. Signer des chèques – avec l’argent d’autrui – est tellement plus simple que d’affronter la dure réalité pour un politique. Mais pour combien de temps ? Au salon de l’agriculture, François Hollande a compris que ce grand mensonge n’a plus d’effet calmant.

Depuis le 1er avril 2015, il n’y a plus de quotas laitiers. L’Union européenne a cessé de garantir le prix anormalement élevé du lait et d’acheter – avec l’argent des contribuables européens – les excédents pour les stocker dans de gigantesques frigos. En principe, car elle continue à acheter du lait, au point d’accumuler à ce jour plus de 350.000 tonnes de lait inutile… qu’elle devra bien écouler un jour sur le marché. Ce dumping aussi absurde que massif n’est pas tombé par surprise en avril 2015. La fin de l’ère des quotas avait été annoncée depuis 2008 (si ce n’est 2003) sous la pression de partenaires européens qui en avaient assez d’alimenter à prix d’or une profession que ces aides incitaient à ne surtout pas se remettre en question. Pourquoi produire moins – et faire remonter les prix – quand les subventions rentabilisent la surproduction – qui les font baisser – ? Au lieu de s’y préparer, les producteurs de lait ont continué jusqu’au bout à travailler sur le fondement planificateur des prix encadrés et des quantités garanties, comme si nous étions en Union Soviétique. Bernés, ils ont même fortement augmenté leur production dès 2014, amplifiant l’excès actuel d’offre. Les Français ne sont pas seuls fautifs, toute l’Europe s’y est mise, entraînant une croissance de 2.25% des volumes produits selon Eurostat.

Parallèlement à cette explosion de l’offre européenne, la consommation de lait a diminué. Les Français boivent moins de lait. Chaque année, ils baissent leur consommation de 2.5%. Déclin du petit-déjeuner, montée des allergies au lactose, vieillissement de la population, les raisons de cette baisse constante sont multiples. La promotion du lait n’y fait pas grand-chose. Le consommateur a beau pleurer devant les images d’agriculteurs en difficulté, il ne peut ignorer que la baisse de sa propre consommation de lait est l’une des raisons de cette crise. Le recul brutal des importations de lait par la Chine et par la Russie, pour des raisons distinctes, a aussi fait tanguer les cours. Ce n’est pas Lactalis qui va forcer ces pays à reprendre sa consommation antérieure de lait pour l’un, à mettre fin à son embargo sur le lait européen pour l’autre. Le résultat mécanique de ce déséquilibre croissant entre l’offre et la demande est évident. Même un collégien comprend que le prix d’un bien baisse si l’offre augmente plus vite que la demande sur un marché. Lactalis, simple maillon de transmission entre producteurs et consommateurs de lait, est bien impuissant à peser sur le cours du lait. L’offre devra inéluctablement baisser ou chercher de nouveaux débouchés à l’export pour revenir à un équilibre viable pour les producteurs français.

Mais ce n’est pas tout, notre modèle les empêche d’être compétitifs dans ce marché mondial. En limitant arbitrairement la taille des exploitations, la France impose un frein dramatique aux investissements productifs et aux effets d’échelle nécessaires dans l’agriculture. Le débat stérile sur la ferme des mille vaches – qui espérait passer de 500 à 800 têtes avec l’avis favorable de l’enquête publique – illustre bien le drame qui se joue dans ce secteur en péril. De jeunes agriculteurs qui souhaitent se regrouper pour améliorer leur productivité sont bloqués et, par conséquent, condamnés à faire la manche auprès du gouvernement pour ne pas faire faillite. En Allemagne, aucune restriction de ce type. Mieux, au lieu de subventionner chaque litre de lait, masquant artificiellement le prix du marché, l’Allemagne a privilégié l’aide à la surface depuis longtemps, incitant les agriculteurs à se moderniser et à s’orienter vers les productions naturellement rentables. Pour la première puissance laitière d’Europe, le coût par litre de lait produit tombe par conséquent de 50 centimes par litre produit pour une petite exploitation de 30 vaches à 39 centimes pour celles atteignant les 1.000 têtes. Sacrée différence ! Sans pouvoir atteindre la taille suffisante, comment investir des sommes considérables dans des outils modernes qui exigent de larges volumes pour être amortis ?

Les jeunes agriculteurs ne manquent ni d’idées, ni d’énergie pour renouveler leur activité et viser les créneaux à plus haute valeur ajoutée, ceux qui misent sur la qualité. Ils n’ont pas besoin d’être soutenus par le ministre de l’Agriculture au travers de subventions – prises dans la poche de leurs clients finaux – mais par une vraie liberté d’entreprendre et de se développer. Pour préparer l’agriculture française de demain, innovante et pérenne, permettons-lui de se diversifier, de cibler les productions de qualité plus rentables et d’atteindre une taille critique. Cessons d’accuser à tort des entreprises ou l’Europe, le pouvoir n’a qu’une seule chose à faire : laisser faire les agriculteurs.

Par Aurélien Véron, article paru dans atlantico le 1er septembre 2016

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