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Entretien avec Denis Tillinac par Sandrine Pico de La Houssière Un écrivain de « droite » avec des millions de guillemets

       « Ecrivain. Ce n’est pas un métier, mais une vocation, un don. » écrivait Alice Parizeau. Vous retrouver vous dans cette citation ?
       Depuis toujours,  j’essaie d’être un écrivain français . Ce n’est pas un métier mais c’est une raison d’être,  une passion. J’ai alterné des récits, des essais,  des romans avec une dimension discrètement autobiographique, de la poésie.  Je m’inscris dans une filiation d’écrivains qui, de Pascal à Mauriac en passant par Chateaubriand ou Zola, prend des positions sur la vie publique, l’air du temps voire la politique. Je n’ai jamais appartenu à un parti, un syndicat, une secte, une maçonnerie. Un écrivain qui veut chroniquer  la vie politique doit garder ses distances avec le théâtre social de façon radicale. A ce titre, un écrivain ne peut pas être un militant. S’il  le devient, il dévoie sa plume car il confond ses aspirations à l’absolu qui sont de l’ordre du poétique et du mystique, avec le champ de la politique qui est de l’ordre de la contingence. Même si j’ai pu envier mon ami Régis Debray qui avait voulu mettre un fusil au bout de son romantisme révolutionnaire, version guévariste,  pour défendre une cause… Cette cause, je n’y ai jamais adhéré, ce qui m’a condamné à encore plus de distance et un repli sur le poétique au sens large, une observation de la réalité psychologique et sociale
Et le sentiment d’être toujours inadéquat aux différents milieux sociaux que j’ai pu côtoyer : le plus avenant ayant été celui du rugby avant l’ère du professionnalisme, le plus ennuyeux étant celui de l’économie lourde que j’ai pu fréquenter avec un ami, patron du groupe Havas. J’ai pris l’habitude de défendre mes amis quand ils étaient attaqués : je pense à Charles Million avec ses malencontreuses accointances avec le FN à Lyon, à Jean- Charles Marciani quand il a été poursuivi par la Justice et puis Fillon. Jai d’autant plus envie de  le défendre que l’on assiste à une chasse à l’homme. J’aurais bien évidemment réagi de la même manière pour défendre Mélenchon, Hamon, Mme le Pen s’ils avaient  été l’objet de la même traque.
       Pour autant peut-on dire que vous avez pris votre plume pour une épée ?
       Mes positions m’ont  rangé à droite. Mais j’ai envie de mettre des millions de guillemets sur ce mot « droite » parce qu’il faudrait le définir. Cette position n’est pas très avantageuse sur la rive gauche de la Seine où le discours ambiant s’est solidifié autour des « déconstructeurs », et on range vite ceux qui ne sont pas dans cette mouvance de « conservateur », voire « populiste » puis « réac » et enfin  « facho »….
Je comprends donc que des écrivains se replient dans le roman pur qui est une autre façon de décrire la réalité. Ma drogue, ma came, c’est le réel qui me permet de  poursuivre une quête du temps retrouvé car écrire est une relation au temps passé, composé, décomposé, mythifié sur la base de souvenirs d’émotions esthétiques ou autres…
Ecrivain, je le suis ;  de droite, par défaut. Pas pour défendre des privilégiés ou un « Ordre moral »… En tant que catholique (sphère privée) je me dois de défendre les humbles et les opprimés, en tant que gaulliste je souhaite un Etat solide dans ses prérogatives régaliennes mais aussi respectueux d’une longue mémoire et régulateur attentif voire autoritaire d’une économie sociale de marché. Le communisme n’étant pensable qu’à l’intérieur des monastères…. C’est presque à regret que j’ai constaté que les variétés de socialisme ne me conviennent pas, tout simplement parce que je ne crois pas à l’homme socialisé. L’homme socialisé, c’est l’homme normalisé dans son imaginaire, l’homme enrégimenté,  ce qui est incompatible avec mon idée de la liberté.
       De quelles filiations vous revendiquez-vous ?
       Ma droite est plutôt une référence à des valeurs, une esthétique qui me semblent devoir être inculquées à l’école pour fabriquer des honnêtes gens comme on l’entendait au XVII° siècle avec le sens de l’honneur, le pardon, du panache, de la nuance, d’une certaine altitude, l’ oubli de soi, l’amitié toujours privilégiée contre les affinités partisanes contre les « camarades » qui sont ceux d’une faction, d’un clan ou d’une confession.
Je me réfère  donc à des écrivains qui détiennent un petit morceau de ma droite imaginaire, Chateaubriand pour ce qui est de l’inscription de la France dans une légende, Tocqueville en ce qui concerne une méfiance  vis-à-vis les engouements collectifs et de l’emprise qu’un Etat peut exercer de façon excessive sur les citoyens (je ne veux pas d’un pays de fonctionnaires, ni d’un pays d’assistés).
Je ne suis pas de gauche mais je considère que la mémoire de la gauche fait partie de l’histoire de France et  je  la respecte. Quand elle est modérée et qu’elle s’inscrit dans des traditions de terroirs elle m’est sympathique d’où mes accointances avec le radical socialisme dit « cassoulet » qui a à voir avec les tuiles romaines, l’accent chantant, les apéritifs anisés et tous ces poteaux de rugby derrière lesquels se dessinent les Pyrénées.
On a du mal à installer sereinement cette position politique dans un débat public qui depuis la révolution française est agressif, fielleux et divise le gens. Je suis tenté devant une droite libérale à l’américaine de me sentir complice des marxistes, mais quand un intellectuel de gauche dégaine son catéchisme avec sa langue de bois ou de plomb, j’ai envie par provocation d’être infiniment plus à droite que je ne suis.
       Au risque de vous coller des étiquettes sur le dos ?
       Dès mes premiers livres j’ai été étiqueté hussard. J’ai lu Morand, Jouhandeau, Nimier,  Blondin mon préféré, parce que plus poète,  ou encore Michel Déon qui est devenu un ami, et j’ai découvert une parenté, mais une parenté éloignée. Je suis beaucoup plus proche de Mauriac, Bernanos et Paul Valery.
Editorialiste de Madame Figaro, je suis devenu « un homme d’Hersant » que je n’ai jamais rencontré. Je traitais de l’air du temps, j’ai beaucoup évoqué les ressacs entre Paris et les provinces, qui sont une des spécificités de la France.
Après,  j’ai publié chez Robert Laffont et j’ai été rangé dans « l’école de Brive ». Je me suis retrouvé avec un chapeau de paille,  une paire de sabot et une faux dont je n’ai jamais maîtrisé le maniement. Ma relation à la fenaison  étant plus proche de celle de Mme de Sévigné….. On m’a rangé dans une espèce de « semi-plouquerie », même si je n’ai aucun dédain pour la littérature provincialiste sinon je n’aimerais pas autant Mauriac, Giono, Alphonse de Chateaubriand  ou George Sand.
Dans les années 90 , Jacques Chirac  s’apprêtait à affronter la présidentielle. Me sachant à Paris et du fait de liens personnels, une intimité de plus en plus forte s’est créée et je me suis retrouvé  parmi des animateurs de sa campagne avec la fièvre que j’éprouve à chaque approche du printemps à la perspective des seizièmes de finale. J’étais heureux qu’un post-gaulliste achève le siècle à l’Elysée symboliquement
J’ai pris conscience aussi (j’étais l’intellectuel de Chirac, – il n’y en avait pas d’autre-) que cela m’avait desservi ; mais je ne regrette pas mon soutien et je m’honore d’avoir joui de sa confiance et de son amitié. Je regrette seulement que ce soutien ait été trop médiatisé.
Plus récemment je suis devenu chroniqueur à Valeurs Actuelles au moment où le magazine est devenu le porte-étendard d’une droite qui essayait de se  reconstituer mais son image avait tendance à se radicaliser et j’en ai pâti parce que, comme Montherlant, chaque fois que j’énonce sur le champ politique un jugement, j’ai conscience qu’un autre moi est en train de démontrer le contraire en y croyant autant….ou aussi peu.
Un écrivain est l’ultra de ses phantasmes dont il doit se méfier et un traître à toutes les causes qui peuvent l’exalter. Mon seul engagement a été la Francophonie parce qu’un écrivain français aime sa langue et les écrivains francophones l’ont enrichie, ensoleillée.
Voilà l’écrivain que je suis et qui assez logiquement a publié un « Dictionnaire amoureux de la  France » puis du catholicisme. Cela ne m’enferme pas dans la franchouillardise car j’aime l’altérité : j’aime l’Italie parce qu’elle ne ressemble pas à la France et le Portugal parce qu’il ne ressemble pas à l’Espagne. Je ne m’enferme pas davantage dans une clôture confessionnelle. Je suis un écrivain assez malheureux car j’ai conscience que des lecteurs se sont détournés de moi à cause de cette image politique qui me caricature. Malheureux de voir que tout ce à quoi je suis attaché est en train de disparaitre à une vitesse accélérée. Je me sens égaré dans mon siècle….mais ne l’aurais-je pas été dans tout autre ?

Comments

  • Mandat grancey
    avril 15, 2017

    les ecrivains qui aiment la France comme vous , respirent son terroir , nous font gouter au bonheur d’etre
    Francais , meritent le respect . Devant la dictature de la boboitude de gauche : vous n’avez aucun complexe
    A vous affirmer de droite!

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