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Haut-Karabakh : les faits, avant les mots. Par Gérard Vespierre (*)

(*) Analyste géopolitique, conférencier, fondateur du site : www.le-monde-decrypte.com


Dans cette sanglante situation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, l’histoire déformée, et l’émotion prennent trop souvent le pas sur l’existant et, les faits.
Avant de se pencher sur les évènements actuels, n’est-il pas nécessaire de faire un rapide détour par l’Histoire ? Le conflit autour du Haut-Karabagh trouve ses racines dans la succession de trois ruptures. La première remonte à la période 1805-1830, et à la cession de l’Arménie et de la moitié de l’Azerbaïdjan par l‘Iran à la Russie, suite à deux guerres entre eux, perdue par l’empire Perse.
Pratiquement un siècle plus tard, le pouvoir soviétique décide de transférer à la République Socialiste Soviétique d’Azerbaïdjan, « l’Oblast » du Haut-Karabakh, pourtant majoritairement peuplée d’Arméniens, au détriment de la République Socialiste Soviétique d’Arménie, deuxième rupture. Y-avait-il là une machiavélique volonté de Moscou de diviser pour régner ?
La troisième rupture intervient à la chute de l’URSS. Les deux Républiques proclament leur indépendance, ainsi que le Haut-Karabakh après deux années de guerre. Au sein de l’OSCE, le groupe de Minsk, dont la Russie, les Etats-Unis, et la France assurent la vice-présidence, est chargé de trouver un règlement politique à cette situation. En plus de 25 ans, aucun processus n’a été engagé.
Depuis lors, la région du Haut-Karabakh s’est constituée en entité indépendante, la République d’Artsakh. Elle cherche à rejoindre l’Arménie, sous une forme à définir. En 2016 les 3 parties ont connu quelques semaines de combat, qui ont vu partir du Haut-Karabakh les derniers éléments azerbaïdjanais, et constituer une continuité territoriale entre la République d’Artsakh et l’Arménie, avec deux routes d’accès direct, au nord et sud, avec postes frontière partagés. La région du Haut-Karabakh n’est plus enclavée en Azerbaïdjan, mais jouit d’une continuité territoriale avec l’Arménie.
Comme le montre la carte ci-dessous, la réalité géopolitique du 21 siècle est différente de celle du 20ème. La politique doit donc en tenir compte.

Cette année, le mois de juillet a vu quelques jours d’escarmouches entre Arménie et Azerbaïdjan, mais plus au nord, et donc n’impliquant pas la région du Haut-Karabakh. Les raisons n’en ont jamais été clairement élucidées. Suite au cessez-le-feu, personne ne s’attendait à la résurgence des combats.
Les combats actuels sont plus stratégiques et impliquent durement cette fois-ci le territoire et les habitants du Haut-Karabakh. La nature stratégique de la situation provient de l’implication dans le conflit de la Turquie. Cette implication est triple.
La Turquie est l’allié géopolitique de l’Azerbaïdjan. Elle s’appuie sur leur proximité, culturelle, linguistique et religieuse, et se renforce par la rivalité historique entre Turquie et Arménie. Elle se matérialise actuellement par l’envoi, en Azerbaïdjan, d’un millier de mercenaires syriens. Cet envoi a été confirmé à la fois par la Russie et une organisation humanitaire syrienne. Enfin, depuis quelques jours, le président Turc déploie un discours idéologique et politiqué évoquant que les combats ne cesseront qu’avec la reprise, par les armes, de la région du Haut-Karabakh. On comprend mieux, maintenant, la visite au mois d’Août du ministre turc de la Défense et du chef d’Etat-Major en Azerbaïdjan, et les manœuvres communes.
La situation est également stratégique par l’alliance militaire entre l’Arménie et la Russie. On retrouve à nouveau le face à face historique entre Turquie et Russie dans la région Caucasienne.
Depuis le début des combats actuels, plusieurs centaines de morts civils et militaires sont venus endeuillés et amplifié la tension de la situation.
Que peut-il se passer maintenant ? Les Etats-Unis, l’Europe, la Russie appellent à un cessez-le-feu immédiat. L’Otan vient de demander à La Turquie d’intervenir auprès de son allié Azerbaïdjanais. Seule la Turquie semble soutenir les combats. Les réactions militaires arméniennes sont restées mesurées. Aucune attaque terrestre d’envergure n’a été lancée par Erevan.
Il convient d’intégrer la stratégie régionale turque dans cette situation. Elle vise par une « gesticulation » militaire maximale, en Syrie, Irak, Libye, Méditerranée orientale, et sans jamais aller jusqu’à la guerre, à s’assurer un certain nombre d’avantages de négociation. Il existe aussi une volonté du pouvoir turc d’attiser la fibre nationaliste, et de compenser par une force extérieure, la faiblesse de sa situation intérieure, politique et économique.
D’une façon ou d’une autre, on ne peut aller que vers des contacts, un cessez-le-feu, des négociations. Le moment ne serait-il pas venu d’aller plus loin ?
Le moment n’est-il pas venu de demander sous égide internationale aux habitants de la région du Haut-Karabakh, de décider par recours à l’auto-détermination ce qu’ils veulent comme destin ?
Des régions continuent de choisir politiquement leur avenir, de l’Ecosse, à la Nouvelle-Calédonie.
Le temps est venu de dépassionner ce débat. Agir légalement, et dans le respect de la volonté et des aspirations de tout un territoire. Le Président de la République s’est déjà exprimé. La France, de toute évidence, a un rôle à jouer.

 

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