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Jérôme Creel : « À la bonne santé de tous les Européens ! Pour une agence de santé européenne unique »

La crise de Covid-19 a mis la santé au cœur des préoccupations et des débats de politique publique et elle a fait prendre conscience des faiblesses de l’Union
européenne dans la prévention et la gestion d’une pandémie. Le début de la campagne de vaccination, malgré ses défauts, a montré l’importance d’une politique commune pour le bloc, permettant une solidarité de fait entre les États membres par l’intermédiaire d’une répartition de l’approvisionnement en vaccins basée sur la taille respective des populations nationales.
Nous envisageons dans cette note d’aller plus loin et de mener une politique européenne de santé commune. Nous proposons que cette politique soit administrée par une agence
européenne de santé unique dotée de moyens financiers suffisants pour assurer ses missions. L’initiative Health4EU, ou la santé pour tous les citoyens européens,
que nous défendons n’est pas de créer une politique européenne de santé qui se substituerait aux politiques nationales, mais d’adjoindre à ces politiques nationales trois missions complémentaires.
Tout d’abord, l’agence coordonnerait une politique d’investissement en capital humain en facilitant la mobilité des soignants pour leur permettre de suivre ou d’assurer des formations complémentaires sur le terrain, contribuant ainsi à améliorer l’adéquation, en qualité et en quantité, entre l’offre et la demande locales en matière de santé.
Deuxièmement, l’agence garantirait un approvisionnement stratégique en médicaments et en équipements. Elle donnerait à l’UE une capacité d’achat, donc de négociation auprès des industriels de santé qui permettrait d’y faire jouer les économie d’échelle. Enfin, l’agence assisterait les autorités locales afin qu’elles améliorent leurs infrastructures de santé et de soins de longue durée, donnant ainsi chair à une politique européenne de santé plus ambitieuse et soucieuse d’atténuer les inégalités d’accès aux soins dans toute l’Europe.
La crise de la Covid-19 a mis la santé au cœur des préoccupations et des débats de politique publique et elle a fait prendre conscience des faiblesses de l’UE dans la prévention et la gestion d’une pandémie. L’absence d’une politique européenne de santé à part entière a limité la capacité à partager les informations sur l’évolution de la pandémie, à assurer un approvisionnement rapide et pertinent en médicaments et en  équipements dans toute l’UE et à définir une réponse politique coordonnée à la pandémie. Son coût humain important, social et économique, a poussé les autorités de l’UE (gouvernements, Parlement européen, Commission, agences de santé nationales et européennes) à promouvoir une stratégie européenne visant à améliorer, accélérer et
sécuriser l’accès à la santé pour tous les citoyens de l’UE. Nous proposons par la suite que cette stratégie européenne soit administrée par une agence européenne de santé unique dotée de moyens financiers suffisants pour assurer ses missions de prévention et de gestion des épidémies et des pandémies, mais aussi pour assurer la capacité de l’UE à négocier avec les producteurs de biens et services en santé et à délivrer une politique de formation européenne pour les personnels soignants.
Le début de la campagne de vaccination a montré l’importance d’une politique commune pour le bloc, permettant une solidarité de fait entre les États membres par l’intermédiaire d’une répartition de l’approvisionnement en vaccins basée sur la taille respective des populations nationales1. Elle a témoigné a contrario des difficultés à mener cette politique dans la précipitation que l’absence d’une institution unique dotée d’une capacité d’organisation et de coordination rendait inéluctable. Si le choix de négocier conjointement avec les producteurs a été louable, le processus a montré plusieurs limites concernant la capacité de négociation et la capacité de forcer le respect des engagements contractuels. Comme il est illusoire de penser que les États
auraient eu plus de succès individuellement, les difficultés de la campagne de vaccination viennent confirmer la nécessité de se doter à l’avenir d’une agence unique pour assurer un meilleur accès aux soins des Européens, non pas seulement lors d’une épidémie, mais pour favoriser une convergence des systèmes de soins en Europe. En outre, il aurait certainement été plus facile de comprendre le risque et les coûts d’une  négociation à la baisse sur le prix en contexte d’offre globale de vaccins insuffisante.
La création d’une agence européenne de santé unique s’inscrit dans des débats lancés en Europe dans le courant de l’année 2020. L’initiative franco-allemande du
18 mai 2020 proposait ainsi une « stratégie de santé » de l’UE pour renforcer la « souveraineté stratégique en matière de santé ». L’initiative encourageait l’augmentation de la recherche et du développement de vaccins et de traitements dans l’UE, la constitution de stocks stratégiques communs de médicaments et d’équipements, des marchés
publics communs à l’ensemble de l’UE, la création d’un groupe de travail au sein du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) pour élaborer des
plans de prévention et de réponse aux futures épidémies, et des outils statistiques plus performants pour favoriser l’interopérabilité des données sanitaires. Dans sa communication du 27 mai 2020, la Commission européenne (2020) a présenté son nouveau programme : EU4Health, inclus dans le pilier 3 de son nouvel instrument, Next Generation EU.
 
Ce programme devait être consacré à la prévention des crises, à leur préparation et à l’achat de médicaments et d’équipements essentiels. En outre, le nouveau programme devait « soutenir le renforcement des capacités dans les États membres (et) financer des programmes de formation pour le personnel médical et sanitaire ». Lors des négociations du budget pluriannuel de l’Union européenne et du plan de relance Next Generation EU, le programme EU4Health, de taille pourtant insuffisante pour faire face aux enjeux des prochaines années, a été purement et simplement rayé de l’accord européen de juillet 2020. Il a resurgi en partie lors des négociations entre le Conseil et le Parlement européen. L’accord du 10 novembre 2020 alloue finalement au
programme 5,1 milliards d’euros (sur 7 ans, 2021-2027) au lieu des 9,4 milliards  d’euros initialement prévus.
Ces montants s’écartent sensiblement des besoins d’investissement de 70 milliards d’euros par an identifiés par la même Commission européenne (Commission européenne, 2020) ou par Fransen et al. (2018). Bien que l’investissement public dans les infrastructures de santé et de soins de longue durée dans l’UE-28 se soit élevé à 75 milliards d’euros en 2015 (0,5 % du PIB), Fransen et al. ont estimé que l’investissement en santé devrait passer des 75 milliards par an actuels à 145, avec une attention particulière aux soins de longue durée (50 milliards). Ces montants correspondent à
l’ensemble des besoins identifiés pour les États européens et n’ont pas vocation à être financés uniquement sur fonds européens. Fransen et al. (2018) signalent cependant que le niveau de capital public (par exemple lits d’hôpitaux) « diffère largement selon les régions » et qu’une partie importante du déficit d’investissement s’explique par le fait que les autorités locales chargées de financer les investissements dans les infrastructures sociales peuvent être soumises à des contraintes budgétaires dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance. Un recours à des financements européens est donc, pour ceux-là, le seul moyen de contribuer à effacer le déficit d’investissement.
Lire la suite de l’étude 
Jérôme Creel, Francesco Saraceno et Jérôme Wittwer
OFCE, Sciences Po
 

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