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Le Haut-Karabagh, une guerre Turque.Par Gérard Vespierre (*) Chercheur en relations internationales.

Les combats qui se déroulent dans cette région du Caucase sont présentés comme résultant d’un affrontement entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Si cette vision correspond à l’histoire, les combats actuels ont été pleinement voulus et déclenchés par Ankara.

Gérard Vespierre est  Chercheur en relations internationales.

Les affrontements du début des années ’90 impliquant le Haut-Karabagh, surviennent après la chute de l’Union Soviétique, et les proclamations d’indépendance des deux Etats revendiquant ce territoire. Ils aboutissent à une quasi trêve. Au préalable, en 1988, Moscou et Bakou avaient refusé de répondre favorablement à la demande de rattachement du Haut-Karabagh à l’Arménie, exprimée par ses habitants, arméniens. Les gains territoriaux des combats de 1994 ont permis à ce territoire de constituer une continuité territoriale avec l’Arménie. Deux routes, au nord et au sud de la région, relient depuis lors, le Haut-Karabagh à l’Arménie.

En juillet de cette année, des échanges de tirs meurtriers ont eu lieu entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mais en dehors de la région du Haut-Karabagh. Les causes de ce déclenchement d’hostilités ne seront pas vraiment établies. Toutefois, ces évènements aboutissent à la destitution du chef d’Etat-Major de l’armée azerbaïdjanaise, Necmeddin Sadikov.

Il s’est vivement confronté au mois de septembre, à une délégation de députés turcs en visite à Bakou. Les généraux turcs ont obtenu sa démission non sans qu’il s’y oppose en déclarant « si nous donnons notre armée aux turcs, leur donnerons-nous aussi nos femmes ?». Le propos est clair, le leadership turc se met en place.

Au préalable le Président de l’Azerbaïdjan après les combats du mois de juillet, avait déclaré à Vladimir Poutine, le 13 août « l’attaque de l’Arménie était destinée à attirer un troisième pays, dans ce conflit ». La Russie ou la Turquie, propos sibyllins,… à l’époque, …mais maintenant que nous connaissons l’implication turque, ils deviennent clairs.

Le rôle de la Turquie ne va pas s’arrêter là. Quatre autres composants vont venir compléter le dispositif et asseoir le leadership turc, dans la guerre de cet automne : l’armement, les troupes, la conduite des opérations, et la dialectique idéologique.

L’armement

Si les 9 premières années de l’indépendance de l’Azerbaïdjan, le prix du baril est resté sous les 20 dollars (!) mais il a été de 2000 à 2015, multiplié par 6 (!). Manne financière exceptionnelle qui a permis au gouvernement de Bakou de se doter de nombreux et modernes équipements militaires. Le choix s’est principalement porté sur l’acquisition de drones, achetés aussi bien à Israël qu’à la…. Turquie. Plusieurs centaines d’unités de micro-drones suicides israéliens, seront approvisionnés auprès des sociétés IAI et Aeronautics Ltd. Les modèles TB2, achetés à la société turque Baykar Technologies, plus sophistiqués sont destinés à la reconnaissance, et au bombardement, par bombes guidées. La Turquie allait aussi fournir le personnel de formation et d’emploi.

 

L’implication de l’armée turque, et les chefs d’opérations

La publication russe ‘Kommerzant’ a révélé à partir de sources militaires et diplomatiques russes, le soutien, en personnel turc, donné à l’armée azerbaïdjanaise. Plus de 600 spécialistes militaires turcs ont été déployés, dont 200 membres des forces spéciales. 90 conseillers ont été envoyés à Bakou, 120 instructeurs sur la base aérienne de Gabala, et 20 spécialistes des drones sur l’aéroport de Dalyar.

Comme l’a publiquement évoqué le président de la République Française, la Turquie a également acheminé plusieurs centaines de combattants syriens. Membres de la milice Faylaq Al Cham, soutenue par Ankara, ils ont quitté la région d’Alep pour l’Azerbaïdjan, en passant par la ville turque de Gaziantep.

Enfin, les opérations militaires azerbaïdjanaises ont été dirigées par les plus hautes autorités militaires turques, le ministre de la défense, Hulussi Akar, général et ancien chef d’Etat-Major, accompagné du chef d’Etat-Major de l’armée de terre, le général Umit Dündar.

Ce conflit n’est donc pas une guerre azerbaïdjanaise, menée avec un appui turc, mais une guerre pensée et menée par la Turquie avec, son allié azerbaïdjanais. Quelles en sont les raisons ?

La démarche stratégique et idéologique turque

Ces dernières années ont vu le président Erdogan mettre en œuvre un discours et, une stratégie militaire, destinée à concrétiser une renaissance et un rayonnement turc dans le Proche et Moyen-Orient. L’armée turque dispose d’un point d’appui au Qatar, est présente dans le Kurdistan irakien, s’est déployée en Syrie, en Libye, dans les eaux de la Méditerranée Orientale, en Mer Rouge.

A cette renaissance turque est associée un corpus idéologique, nationaliste, islamiste, et de rayonnement culturel historique. La proximité culturelle avec la population Azerbaïdjanaise, existe par la langue, la géographie, le lien religieux, et leur commun ressentiment envers l’Arménie.

Le déploiement stratégique turc couvre tous les points cardinaux, et pousse à chaque fois, son avantage, dans des situations complexes, Syrie, Libye, Azerbaïdjan,….Otan.

Mais ne nous y trompons pas, il est également destiné à servir de palliatif à la situation économique. Le taux de chômage, l’inflation, la baisse du PIB, créent des tensions dans toute la société turque. La perte par l’AKP, parti présidentiel, d’Ankara et d’Istanbul, lors des dernières élections municipales s’expliquent par la situation intérieure. La situation économique azerbaïdjanaise est également difficile, par la baisse des ventes et du prix du pétrole, après 15 années de croissance. S’y ajoute les difficultés agricoles liées à une sécheresse amplifiée et persistante.

La fuite vers l’extérieur et la volonté turque de l’assumer sont les causes de ces nouvelles violences sur les 150.000 habitants du Haut-Karabagh.

(*) Gérard Vespierre, analyste des « arcs de crise », diplômé de l’ISC Paris, Maîtrise de gestion, DEA de finances, Paris Dauphine. Auteur du site www.le-monde-decrypte.com

 

Comments

  • Anonyme
    novembre 3, 2020

    5

  • Noël Legros
    novembre 5, 2020

    Bien d’accord avec le rôle majeur de la Turquie dans cette nouvelle tentative d’éradiquer les arméniens du Haut Karabagh. Notons la constance des turcs, qui reviennent un siècle après que l’armée ottomane ait tenté en 1918 de poursuivre au Caucase le génocide des arméniens en occupant le Karabagh et en massacrant sa population arménienne (sans y parvenir totalement). S’ils réussissent cette fois, il ne leur restera plus qu’à attendre que la Russie traverse une période de troubles pour enfin faire sauter le verrou arménien en s’emparant du Zanguezour (et du reste de l’Arménie), réalisant enfin non seulement le rêve panturc de jonction et d’union des peuples turcs dans un grand empire, de l’Anatolie à l’Asie centrale, mais aussi l’annihilation définitive de tout État arménien, épicentre mémoriel du génocide de 1915 et héritier de réparations légitimes.

    Quant à l’explication un peu rapide de l’expansionnisme militaire turc récent par une sorte de diversion des difficultés économiques, je serais plus circonspect. Je pense au contraire qu’il s’agit d’une tendance lourde de la Turquie, dont la population biberonne un nationalisme paranoïaque suprémaciste et révisionniste dès l’école primaire (cf notamment les travaux « Espace et temps de la nation turque » E. Copeaux, CNRS ed. 1997). Les écoliers turcs savent tous que leur pays est le résidu d’un des plus grands empires ayant régné 6 siècles sur une bonne partie du monde méditerranéen, au moyen orient et sur le pourtour de la mer noire. Ça aide à se représenter son pays au delà de ses frontières actuelles…

    Ayant connu une période de croissance économique sans précédant de 2001 à 2013, acquis des savoir-faire technologiques clés, et développé une industrie militaire performante (notamment dans le domaine révolutionnaire des drones), la Turquie a maintenant les moyens de ses ambitions néo-ottomanes. D’autant plus réalisables que dans des territoires tel que Syrie ou Libye des opportunités tentatrices sont apparues avec des vides à combler favorisés par le retrait progressif des États-Unis du Moyen-Orient et d’Europe, ainsi que par la désunion et le ramollissement des européens. Et quant au projet panturc et islamique, n’oublions pas qu’il est le socle sur lequel s’est fondé la Turquie contemporaine, où d’un empire ottoman progressivement réduit à l’Anatolie, les minorités non musulmanes ont été éliminées par le massacre, l’exode ou la conversion forcée et la réduction à des résidus insignifiants, avec ultimement la tentative de jonction avec les tatars du Caucase (actuel Azerbaïdjan) par l’élimination des derniers débris des arméniens. Bien qu’ensuite Atatürk n’ait pas poursuivi sur cette ligne, probablement aussi par realpolitik (car la poursuite du panturquisme aurait entrainé une confrontation avec l’URSS), cette idéologie n’a jamais vraiment disparue en Turquie et sa relance en fanfare par Erdogan (« une nation, deux Etats » clame-t-il au sujet de la Turquie et de l’Azerbaïdjan) ne signifie pas pour autant qu’elle retombe comme un soufflé si jamais Erdogan devait quitter le pouvoir.

    • KOCHAYAN
      novembre 5, 2020

      Il n’y rien à ajouter, sauf qu’il faut prévenir ces pauvre européens que maintenant ce sont les arméniens qui paye les erreurs faites après la fin de la 1ère guerre mondiale, mais après c’est leur tour.
      pauvre Europe et pauvre occident.

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