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Les enfants d’aujourd’hui font les superpuissances d’après-demain Par Jacques Attali

Polytechnicien, énarque et conseiller spécial du président de la République François Mitterrand pendant dix ans, il est le fondateur de 4 institutions internationales : Action contre la faim, EUREKA, BERD et Positive Planet.


Parfois, il faut savoir prendre du recul, et, plutôt que de commenter, à chaud, des évènements qui nous touchent de près dans l’instant, il vaut mieux observer le monde dans toute son ampleur. Peut-être aussi parce qu’agir ainsi, c’est prendre le temps de ne pas trop penser à ce qui nous obsède, la pandémie, et s’éloigner des angoissantes urgences qu’elle nous dicte. Peut-être est-ce encore tenter de se rassurer, d’éloigner la peur de la mort ; comme si parler du long terme suffisait à nous démontrer que l’avenir existera vraiment un jour, et que nous en serons des acteurs, ou au moins des témoins. Peut-être est-ce enfin parce qu’au-delà des sujets urgents, il est toujours essentiel de ne pas oublier les sujets importants, pour éviter justement qu’ils ne deviennent urgents.
Et parmi eux, j’ai noté cette semaine une nouvelle passée relativement inaperçue, bien que cruciale pour l’avenir : en 2019, le Nigeria est devenu, devant l’Inde, le pays où la mortalité des enfants de moins de cinq ans est la plus élevée.
Cette nouvelle, annoncée par la Banque mondiale, est doublement importante : parce qu’on y parle de la mortalité infantile, et parce qu’on y voit, pour la première fois, apparaître une comparaison entre les deux superpuissances d’après-demain, l’Inde et le Nigéria.
La mortalité infantile est un indicateur essentiel de la qualité d’une société ; elle indique la priorité que les familles, les communautés, les Etats donnent à l’avenir. La réduire devrait être la priorité numéro un de tout gouvernement ; et là où elle ne l’est pas, c’est que le pays tout entier est mal parti, et qu’il va le payer très vite, très cher.
La comparaison entre l’Inde et le Nigéria nous rappelle aussi que le monde ne se réduit pas à un affrontement entre la Chine et les Etats-Unis, et que bien d’autres acteurs y joueront un rôle essentiel.

La baisse de la mortalité des enfants de moins de cinq ans dans le monde est une bonne nouvelle, trop rare en ce moment pour ne pas la souligner : elle a baissé de 60% depuis 1990, passant de 93 morts pour 1000 naissances à 38 en moyenne mondiale. Elle est de 5 en France. De même, la mortalité des jeunes entre 10 et 19 ans, est passée de 13 morts pour 1000 adolescents à 8, soit une baisse de 40%.
En 2019, la moitié des décès d’enfants de moins de 5 ans ont eu lieu dans seulement cinq pays : le Nigéria, l’Inde, le Pakistan, la République Démocratique du Congo et l’Ethiopie. Le Nigéria et l’Inde en représentent le tiers à eux deux ; plus de la moitié de ces décès ont lieu en Afrique subsaharienne, comme 44% des décès de jeunes entre 5 et 24 ans. Si cette tendance continue, en 2030, 53 pays, pour l’essentiel en Afrique subsaharienne, n’auront pas atteint les objectifs des nations unies en matière de mortalité infantile.
En 2017, l’Inde détenait le triste record mondial du nombre d’enfants morts avant cinq ans : 989 000 ; suivi du Nigeria avec 714 000. En 2019, ce classement s’est inversé, avec 858 000 décès au Nigeria et 824 000 en Inde. Et cette tendance va se poursuivre, même si la pandémie actuelle pourrait faire remonter la mortalité infantile en Inde et ailleurs, car elle réduit, dans de très nombreux pays, les moyens dont disposent les services de santé, les vaccinations, et les apports en compléments alimentaires.
Qu’est ce que cela nous dit sur notre avenir ?
D’abord que le pays le plus peuplé du monde, dont la population continue d’augmenter, une démocratie fragile, l’Inde, a fait d’énormes progrès dans bien des domaines, dont celui-là, qui est cardinal, même si rien n’est assuré pour l’avenir ; alors que le Nigéria, dont la population a doublé depuis 1990, n’en a fait que très peu.
Ensuite que ces deux pays, qui seront les deux nations les plus peuplées du monde dans la deuxième partie du vingt et unième siècle, commencent à apparaître sur la scène internationale dans une compétition, qui n’est pour l’instant que sanitaire, et qui demain sera tout autre.
Comment sera le monde si les deux premières puissances démographiques de demain restent des lieux de misère ? Et à l’inverse, comment sera le monde si ces deux pays deviennent aussi des puissances économiques et rivalisent avec les Etats-Unis, la Chine et l’Europe ?
C’est à tout cela qu’il faut se préparer. Pour cela, s’occuper des enfants, même en temps de pandémie, doit rester la priorité ; c’est à eux qu’il faut consacrer les moyens essentiels de la société. Et les adultes ne devraient jamais oublier que ce sont leurs enfants et petits-enfants qui travailleront quand ils seront à la retraite. Les pays qui ne le voient pas, ou qui l’oublient, se condamnent au pire

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