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Les Polonais incapables de vivre avec et sans les Allemands

La Pologne a exigé de l’Allemagne de lui verser des réparations à hauteur de 1.300 milliards d’euros. Or les Polonais savent d’avance qu’ils n’obtiendront pas une telle somme de Berlin. Mais ce litige a mis en évidence les problèmes dont souffre l’Union européenne. 

Voici quelques exemples. Le populisme et le nationalisme se renforcent dans certains pays de l’UE, ce qui sera particulièrement visible pendant la campagne électorale du parti d’extrême-droite polonais Droit et Justice l’an prochain. Ensuite, l’Allemagne joue au sein de l’UE un rôle très controversé et peu constructif, alors qu’elle est censée y être un leader, mais soit ne peut pas, soit ne veut pas le faire. La tension qui survient ainsi sape la raison d’être de l’UE qui réside dans la réconciliation intérieure, qui permet aux États membres de faire face ensemble aux menaces extérieures telles que la Russie. 

Inutile de débattre sur la somme des réparations de 1.300 milliards d’euros. La « véritable » somme mesurée par des souffrances humaines et le préjudice matériel serait bien plus élevée. 

Et c’est là que les problèmes commencent de savoir comment c’est perçu par Berlin ou toute autre capitale sur ordre ou au nom de laquelle des crimes inhumains ont été commis quelque part. Si l’on commence à verser des indemnités aux descendants des victimes, où faut-il s’arrêter et quand? 

La réponse officielle de Berlin aux exigences de réparations est, malheureusement, formelle et purement juridique. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne de l’Est a versé des réparations à l’Union soviétique, qui devait à son tour remettre une partie de cette somme à la Pologne. 

En conséquence, pendant la guerre froide, les Allemands estimaient que les revendications d’autres peuples ont été soit satisfaites, soit attendaient leur satisfaction définitive sur une entente entre les puissances alliées. Tout s’est terminé en 1990 avec le Traité portant règlement définitif concernant l’Allemagne (2+4), conclu par les deux Allemagnes, l’URSS, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. 

Depuis, les Allemands affirment que tous les paiements ont été effectués, et le chancelier Olaf Scholz l’a réitéré aux Polonais la semaine dernière. 

Mais en s’enlisant dans cette casuistique, le sens et l’esprit de l’intégration européenne se perd, disent les Allemands. C’était censé être un « projet de paix », un bond vers la réconciliation représentée par le rapprochement entre l’Allemagne et la France, devenant non plus des ennemis mais des amis, alors que l’Europe serait finalement une famille unie. 

À l’instar d’autres pays se trouvant derrière le rideau de fer, la Pologne a adhéré à l’UE tardivement. Et ses motifs d’adhésion étaient différents. Elle s’empressait de quitter l’orbite russe pour rejoindre l’orbite occidentale. Mais au lieu de dissoudre son identité nationale dans la nouvelle identité européenne, la Pologne a décidé d’initier la construction de l’État-nation, car pendant des décennies elle était démembrée, conquise et torturée par des peuples parlant allemand ou russe, et parfois les deux. 

L’UE, dont les institutions fondatrices étaient créées sur les cendres de la guerre agressive de l’Allemagne, a été fondée pour qu’aucun de ses membres, et notamment l’Allemagne, ne puisse dominer sur d’autres. En même temps, ce club de 27 membres avec une file d’attente pour y adhérer est divisé et inefficace. Il a besoin d’un leader, et le candidat le plus évident est son plus grand pays. 

Ce dilemme suscitait des débats sur l’hégémonie en Allemagne. La plupart des Allemands n’ont toujours pas réussi à se remettre du passé nazi de leur pays et ne veulent pas qu’il soit leader. Le fait qu’en allemand ce terme se traduise comme « führer » n’aide pas non plus. Mais quand les crises financière, migratoire et d’autres ont commencé, les Allemands ont également compris que l’UE pouvait fonctionner uniquement si l’Allemagne prenait l’initiative. 

D’autres Européens sont également partagés. Ils ne souhaitent pas entendre la morale allemande. Athènes et Madrid ne veulent pas que Berlin leur apprenne à économiser l’argent. Varsovie et Budapest rejettent leurs conseils sur la protection de la loi et la primauté du droit. Alors que Paris et Rome refusent d’entendre la morale allemande sur quoi que ce soit. L’Allemagne fut l’un des premiers pays avec la France à enfreindre les fameuses règles budgétaires de l’UE en 2005, alors qu’elle avait elle-même rédigé ces règles. 

Mais la plupart des Européens ont également conscience de la nécessité de se réconcilier avec l’Allemagne et de reconnaître tacitement son leadership. 

Lors des campagnes précédentes, le parti Droit et Justice cherchait à jouer sur la peur avec la migration musulmane, les homosexuels et les transgenres, les technocrates bruxellois et d’autres prétendus ennemis de la Pologne qui voudraient saper les traditions polonaises catholiques et morales. Afin de remporter la victoire aux élections l’an prochain, le parti au pouvoir a décidé d’utiliser une nouvelle fois l’histoire d’épouvante sur des Allemands répugnants. 

Le chef du parti Jaroslaw Kaczynski parle de « projets russo-allemands d’établir leur pouvoir sur l’Europe » et dit que l’UE se transforme en « quatrième Reich ». Il accuse l’opposition de vouloir transformer la Pologne en « appendice de l’Allemagne ». 

De leur côté les Allemands justifient les stéréotypes établis essentiellement par négligence. 

L’exemple le plus marquant d’une telle négligence était le gazoduc Nord Stream 2 sous la mer Baltique reliant la Russie et l’Allemagne (sachant qu’il a été construit après le premier conflit entre la Russie et l’Ukraine en 2014). Le gazoduc a été posé le long de Nord Stream 1 pour acheminer du gaz russe bon marché afin d’aider Berlin dans sa transition énergétique. Les Allemands étaient convaincus que l’élargissement de la coopération avec le président russe Vladimir Poutine le rendrait plus docile. 

Contrairement aux Allemands, les Polonais et d’autres Européens (notamment les Ukrainiens) voyaient dans les deux Nord Stream des ruses géopolitiques de Poutine qui voulaient rendre inutiles les gazoducs traversant leurs pays afin de faire du chantage aux Européens ou les priver des livraisons à sa guise. De plus, tout ce projet ressemblait à une nouvelle transaction à part entre Moscou et Berlin sans tenir compte des autres. L’histoire leur a appris à se méfier de telles ententes. 

Il y a deux tragédies dans cette histoire. La première est que Jaroslaw Kaczynski, Droit et Justice et des populistes similaires d’autres pays jouent avec le feu. Ils portent atteinte aux idéaux européens de réconciliation et détruisent le rêve de la force de la cohésion. Au lieu d’exiger des réparations pour les actions d’Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale et provoquer le mécontentement, ils devraient s’unir avec tous leurs amis européens pour défaire Poutine. 

La seconde tragédie est que les Allemands ne sont pas plus sages qu’eux. L’Europe n’est pas devenue allemande et personne ne le souhaite. Mais l’Allemagne n’a pas non plus avancé pour devenir véritablement européenne. 

L’information obtenue à partir de sources ouvertes

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