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 » L’OTAN nous a permis de gagner la guerre sans tirer un coup de fusil »Général (2s) Roland DUBOIS

Notre président a dit que l’OTAN était en état de mort cérébrale. Ce disant il a irrité la plupart des chefs d’états occidentaux pour qui l’OTAN reste le recours ultime en cas de menace grave, même si son intérêt et la confiance qu’on peut lui accorder ont diminués depuis que la menace soviétique a disparu et que l’Amérique regarde davantage vers l’Asie

Général (2s) Roland Dubois

En France notre appartenance à l’OTAN cristallise les critiques de tous bords depuis des années. Je les résume : l’OTAN, sous la coupe des USA, est devenu inutile depuis la disparition de l’empire soviétique ; il est même nuisible,  nous maintient dans un état de subordination, et présente un risque car il peut nous entraîner dans des conflits que nous ne voulons pas. Enfin et surtout, il nous empêche d’avoir une défense indépendante. 

Critiques pour l’essentiel sans fondement.

Cette alliance a été conclue c’est vrai à une époque où la menace soviétique était réelle. Cette menace semble avoir disparu ; du moins à court et moyen terme. Mais d’autres se font jour et l’Occident est toujours l’ennemi désigné.

Une alliance est-elle superflue ?

Certains regrettent le « bon vieux temps » quand le général De Gaulle avait retiré la France de l’OTAN. Là encore ignorance et caricature. Nous ne sommes jamais sortis de l’OTAN, même sous De Gaulle. La France n’était plus dans le commandement intégré, ce qui est très différent. Et il est vite apparu aux militaires que c’était une contrainte qui nuisait à notre propre efficacité car nous étions incapables de remplir seuls toutes les fonctions majeures d’une armée moderne, en particulier dans les domaines de la logistique, du renseignement et de l’appui feu, terrestre ou aérien. En réalité nous avons toujours hypocritement continué à collaborer, à utiliser les mêmes procédures, à bénéficier des renseignements alliés donc principalement américains.

Ces faiblesses majeures demeurent aujourd’hui. Le retour dans le commandement intégré n’a rien changé à notre « dépendance », mais a facilité l’exercice du commandement et la collaboration avec les alliés. Alors oui, comme nous ne sommes plus une grande puissance, l’OTAN, à défaut d’un autre système d’alliance plus adapté qui reste à imaginer et créer, demeurait nécessaire. Si l’Europe, globalement plus riche et plus peuplée que les USA, s’était décidée depuis trente ans à prendre réellement en main sa défense, c’est dans ce cadre que cela aurait pu se faire, et la sortie de l’OTAN aurait alors pu se concevoir. Ce n’est pas le cas. Il n’y a aucune armée digne ce nom en Europe ; la France est seulement parmi les moins mal nantis, et une somme de faiblesses ne fait pas une force.

Quant à l’argument que l’OTAN pourrait nous entraîner dans des guerres décidées ailleurs, je rappelle que l’OTAN est une alliance défensive contre une attaque qui viserait l’un quelconque de ses membres. Et nous nous en sommes très bien portés durant toute la période de guerre froide. Car imagine t-on un instant que les seules armées européennes auraient pu empêcher la guerre froide de se changer en guerre chaude qui se serait mal terminée pour nous ? L’OTAN nous a permis de gagner la guerre sans tirer un coup de fusil ; grâce aux USA ; il ne faut pas l’oublier.

Et quand les USA sont intervenus en Irak, à part la Grande Bretagne, aucun des autres pays de l’OTAN ne les a suivi, pas même le Canada si proche d’eux à tous égards. Alors, contrainte automatique de l’OTAN ?

L’OTAN reste t-il adapté à la situation actuelle et aux menaces futures ?

Même si la menace soviétique a disparu, tous les pays de l’ancienne Europe de l’est conservent une vive méfiance vis-à-vis de leur voisin russe. Ils ont un souvenir historique, lointain et récent, cuisant de leurs relations avec leur grand voisin qui a été conquérant pendant des siècles, puissance occupante pendant presque toute la deuxième moitié du siècle passé et ne connaît une démocratie relative que depuis 30 ans, puisque les Russes n’ont quitté les tsars que pour se jeter dans les bras des communistes. Pour ces pays, la sécurité reste l’OTAN, même ébranlée, et ils font toujours davantage confiance à la puissante Amérique qu’à une Europe frileuse, sans vision commune, sans chef, sans diplomatie, sans bras armé rassurant. Nous pouvons estimer ces craintes irrationnelles, mais elles existent et on peut comprendre pourquoi. Alors nous ne serions pas près de les entrainer dernière nous si nous persévérions dans ces intentions de sortie de l’OTAN avec aussi peu de précautions.

On entend aussi que l’OTAN n’est pas adaptée à la lutte contre le terrorisme. Le terrorisme n’est pas un ennemi ; c’est un moyen d’action. L’ennemi c’est l’islamisme. Donc, là encore demi vérité. L’Occident (compris au sens large, incluant la Russie) est bien l’adversaire de l’Islamisme maintenant comme il l’était du communisme. Ce qui est vrai par contre c’est que les moyens pour faire face aux terroristes ne sont pas les mêmes que pour affronter des armées conventionnelles. 

Il y a donc une dichotomie profonde. L’ouest de l’Europe privilégie une défense contre les terroristes, et considère la menace classique comme secondaire ; l’est de l’Europe au contraire privilégie une protection contre une résurgence de l’hostilité russe, et considèrent la menace terroriste comme secondaire. Et c’est compréhensible. Le laxisme dans le domaine de l’immigration à l’ouest enrichit constamment le terreau dans lequel se recrutent les terroristes, alors que la lucidité et la rigueur à l’est ont empêché sa création. D’où les attentats à répétition à l’ouest, et, jusqu’ici, rien à l’est. Les soucis ne sont donc pas les mêmes. L’ouest a créé les siens ; l’est subit les siens.

Même dans la lutte contre les terroristes, dans des actions limitées comme notre intervention au sahel, nous avons recours aux renseignements de  l’OTAN, donc principalement américains, à l’appui tactique parfois de leurs forces spéciales ; nous avons besoin des soutiens européens, certes bien trop chichement mesurés jusqu’ici, mais aussi nous louons des moyens logistiques étrangers, ukrainiens entre autres, en particulier dans le transport aérien, Et malgré cela la situation s’aggrave. Qu’en serait-il dans des opérations de plus grande envergure ? Et cela restera ainsi demain pour la France compte tenu de la modeste dépense que nous consentons pour notre défense et qui nous interdit de combler ces lacunes. La France n’a pas et n’aura pas, même à terme, les moyens d’une totale indépendance militaire avec le budget que nous consacrons à notre défense. Ce n’est simplement pas possible.

Malgré tout certains souhaitent forcer notre sortie de l’OTAN, escomptant que dépouillée de toute cuirasse, l’Europe trouverait enfin, par peur finalement, le courage et les ressources pour constituer une force efficace. On se jetterait à l’eau pour apprendre à nager en quelque sorte. Mais il faut bien savoir que pendant toute la période de construction d’une autre défense nous serons nus ; pendant longtemps, 10 ans, 20 ans peut-être. Nous serons vulnérable comme le bernard-l’hermite quittant une carapace pour une autre.

Peut-on jouer notre sécurité au poker ? 

Quant à la création d’une armée européenne, idée intellectuellement séduisante, souhaitée par notre président, c’est une pure utopie. L’Europe, à part sur le plan économique, n’existe pas, n’a pas de chef, pas de diplomatie commune. Et sans cela il ne peut pas y avoir d’armée commune. Par contre, et cela existe depuis toujours, il peut y avoir des alliances. C’est justement le cas de l’OTAN. Le costume ne nous va plus ? Alors retaillons-le ; mais ne nous déshabillons pas tant qu’un autre n’est pas disponible. Si certains aspects du traité sont désormais inadaptés on peut chercher à les modifier ; mais les Américains y consentiront plus volontiers si les Européens prennent enfin leur juste part de l’effort de défense. 

Tant qu’on n’aura pas trouvé et créé de système plus convaincant, il faut s’y tenir. Mais les moyens de cette alliance doivent évoluer pour s’adapter à une double menace : terroriste et conventionnelle.

On ne jette pas son eau sale avant d’en avoir de la propre.

Comments

  • Anonyme
    décembre 8, 2019

    5

  • Anonyme
    décembre 8, 2019

    3.5

  • Maquet Etienne
    décembre 4, 2020

    Mon Général,
    Merci pour votre courrier des lecteurs dans valeurs actuelles du 3 decembre 2020; page 88. Je partage votre opinion, il y a dans l’ouvrage du Général Pierre De Villiers, une trop grande dose d »irénisme, de bonne foi, de moderation. L’heure n’est plus à la
    tendresse. Merci pour votre message, qui dissipe le malaise que j’avais en refermant son livre. Et Maquet

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