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Mélody Mock-Gruet: « nouvelle formule des QAG à l’Assemblée nationale »

 

A partir de demain, l’assemblée nationale revient à 2 séances par semaine, le mardi et le mercredi.  Plusieurs objectifs comme pallier la désertion des QAG des députés à partir de la seconde heure. La première heure avait tendance à tourner autour des mêmes questions, la deuxième heure ressemblant plutôt à une série de questions orales sans débat. Enfin, ne pas poser de question le mercredi ne permet pas de rebondir sur l’actualité post-conseil des ministres, alors que les Sénateurs en ont l’occasion. Pour autant, une série de difficultés semble déjà se dessiner.

Depuis la révision constitutionnelle de 2008, l’article 48 alinéa 6 de la Constitution dispose qu’« une séance par semaine au moins, y compris pendant les sessions extraordinaires prévues à l’article 29, est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du Gouvernement ». Au fil des législatures, les questions au Gouvernement (ou « QAG ») sont devenues un temps fort de la vie parlementaire. Moment politique intense et très scruté par la presse, les QAG transforment bien souvent l’Hémicycle en théâtre, les députés criant, s’invectivant et n’attendant en réalité nullement la réponse du Gouvernement.  Cet outil, l’un des plus connus du contrôle parlementaire, a tendance à permettre aux parlementaires d’exister médiatiquement, plutôt que d’effectuer leur mission. Certains députés utilisent des techniques pour se faire remarquer par les citoyens et les médias : montrer un carton rouge, un panier de courses…

Historique

Il a fallu un certain temps à la Vème République pour instaurer les QAG sous la forme que nous connaissons aujourd’hui. En 1968, Jacques Chaban-Delmas, alors président de l’Assemblée nationale, a souhaité dynamiser les séances de questions en proposant une nouvelle forme sans débat, les questions d’urgence, nommées par la suite questions d’actualité. Elles ont été remplacées en 1974 par les questions au Gouvernement. L’idée de « réserver chaque mercredi, en début d’après-midi, une heure pour des questions d’actualité, qui seraient posées à égalité de temps, et suivant une procédure à définir, par la majorité et par l’opposition » a été suggérée par le président de la République Valéry Giscard d’Estaing, nouvellement élu, dans son message adressé au Parlement du 30 mai 1974. Le choix du mercredi après-midi s’avérait judicieux puisque la séance de questions au Gouvernement succédait au Conseil des ministres et que les députés étaient majoritairement présents à Paris ce jour-là.

Procédure

La séance de QAG n’a cessé d’évoluer, de la Vème à la XVIème législature. L’article 133 du RAN pose les règles : la Conférence des présidents fixe la ou les séances hebdomadaires consacrées. La durée des QAG relève également de la Conférence des présidents, et rien n’empêche de réduire cette durée à 1h par semaine ou de l’augmenter à 3h. 

À partir du 28 septembre 1995, deux séances d’une heure sont organisées le mardi et le mercredi à 15 heures. La réforme du Règlement de l’Assemblée nationale (RAN) de 2019 a regroupé les deux séances en une séance unique de deux heures, le mardi de 15 heures à 17 heures pour justement pallier la désertion des bancs du mercredi après-midi et permettre plus de dynamisme avec notamment le droit de réplique. Le Sénat a alors pris le créneau du mercredi 15h pour une séance de 1H15.

La Conférence des présidents de l’Assemblée nationale du 14 novembre a entériné une évolution du format actuel, revenant au rythme de deux séances par semaine à partir du 21 novembre prochain. La séance du mardi aura lieu à 15h, comportant 18 questions et devant s’achevé à 16H15. Une autre séance est prévue le mercredi à 14h, durant 45 minutes et permettant 10 questions (une par groupe). Le bilan de cette expérimentation aura lieu le mercredi 14 février 2024. 

Plusieurs objectifs à cette nouvelle formule, comme pallier la désertion des QAG des députés à partir de la seconde heure. La première heure avait tendance à tourner autour des mêmes questions, la deuxième heure ressemblant plutôt à une série de questions orales sans débat. Enfin, ne pas poser de question le mercredi ne permet pas de rebondir sur l’actualité post-conseil des ministres, alors que les Sénateurs en ont l’occasion. Pour autant, une série de difficultés semble déjà se dessiner.

Problématiques de la nouvelle formule

Tout d’abord la double séance du mercredi : 

– le Sénat qui a réussi a décroché le créneau du mercredi au lieu du jeudi et n’a aucunement l’intention de laisser sa place. On se retrouve donc avec une double séance de QAG dans les deux Chambres. Il y aura alors de fortes chances d’avoir une redondance dans les questions posées au Sénat et l’Assemblée. 

– On pourra également voir la différence de méthode, l’Assemblée ayant tendance a beaucoup plus théâtralisé cette procédure que la Chambre Haute. 

– Même si la séance de l’Assemblée est limitée à 45 minutes, cela va sembler une gageure pour le Gouvernement, qui passera deux fois sur la sellette, le mercredi après-midi. Tous les ministres auront du mal à être présents à chaque fois. Et la séance qui commence à 15h au Sénat enchaine avec celle de l’Assemblée ce qui laisse peu de temps (15 minutes seulement) aux membres du Gouvernement pour être présents. 

– Enfin, la Conférence des présidents a prévu une courte séance de 45 minutes ce qui laisse en théorie le temps d’expression pour 10 groupes (2 minutes chacun) et la réponse des ministres (2 minutes également). Mais la Première Ministre n’est pas tenue par cette contrainte, et il suffit qu’elle prenne la parole pour que le carcan imposé ne tienne plus. 

De même, les 10 questions du mercredi posent plusieurs problèmes :

–       Les 10 questions ont été pensées en fonction des 10 groupes à l’Assemblée nationale en ce moment-même. Mais on a pu noter que les groupes sont mouvants. Il peut y avoir de nouveaux groupes qui se créent, ou des fusions d’autres, ce qui remettrait en cause l’équilibre.

–       Les QAG prennent aussi normalement en compte la proportionnalité des groupes, ce qui n’est plus le cas, le mercredi. Un petit groupe a autant de temps de parole qu’un grand groupe, cette égalité pouvant être contestable au vu du nombre de députés. Cela risque également de créer des frustrations au sein des grands groupes : les députés auront moins souvent la possibilité de poser une QAG que s’ils appartenaient à un petit groupe…

En outre, aucune réunion n’est possible pendant l’horaire 14h – 14H45 du mercredi. Cela a un risque d’impacter le travail parlementaire. Cet horaire était assez utilisé pour les groupes d’études et autres réunions ou rendez-vous des députés. Par exemple, la Commission des affaires européennes, qui n’est pas une commission permanente et ne se réunit donc pas le mercredi matin, fixait traditionnellement sa réunion à 13H30, qui sera alors déplacée à 15H…

Concernant le mardi de 15h à 16H15, il est difficile de voir en quoi cette nouvelle formule changera la salve des premières questions similaires du fait de l’actualité (réforme des retraites, actualité internationale, etc.). A voir également comment la répartition du temps de parole sera faite entre les groupes, et les non-inscrits pendant cette période, pour contrebalancer l’égalité complète du mercredi… Il y a donc un risque d’une sur-représentation le mardi des groupes numériques importants (de la majorité comme de l’opposition) par rapport aux petits groupes…

Les QAG constituent un moment médiatique important. Elles sont retransmises sur LCP (La Chaîne parlementaire), mais certaines le sont également sur les chaînes d’information en continu lorsqu’elles provoquent de vives réactions dans l’Hémicycle. Est-ce que ces chaines retransmettront plutôt le mercredi que le mardi ? A ce moment-là, le mardi se transformera-t-il plutôt en question orale sans débat ?

On a pour l’instant du mal à voir comment la nouvelle formule pallie les dérives de cet outil de contrôle… Il serait peut-être plus utile de mettre en lumière d’autres instruments, moins connus, et plus efficaces…

Le Petit Guide du Contrôle Parlementaire

de Mélody Mock-Gruet et Hortense de Padirac 

paru le 17 octobre aux éditions L’Harmattan

Si la fonction législative de l’Assemblée et du Sénat est généralement bien connue du grand public, leur mission de contrôle et d’évaluation des politiques publiques l’est moins. L’idée que le Parlement n’aurait pas les moyens d’exercer ce rôle demeure. Ainsi, malgré les progrès constatés, la « culture du contrôle » n’est pas encore pleinement intégrée dans les mœurs.

Inscrite dans la Constitution, elle est pourtant essentielle dans un État de droit. Devenu un véritable contre-pouvoir, le contrôle parlementaire ne se résume plus à renverser le Gouvernement mais bien à analyser les situations, identifier les difficultés, discuter et vérifier l’activité gouvernementale, afin de lui demander des comptes. 

Volontairement tourné vers la pratique, l’ouvrage décrypte le contrôle afin de permettre à tous de se saisir des enjeux techniques et politiques qu’implique ce pouvoir. Chaque chapitre est consacré à un outil de contrôle, avec à chaque fois un « bon à savoir ». Protéiformes et en constante évolution, ces instruments contribuent aujourd’hui plus que jamais à la qualité des débats parlementaires et des décisions politiques, méritant l’attention de tous ceux qui s’intéressent à la bonne santé démocratique

Mélody Mock-Gruet est docteure en droit public de l’Université Paris II Panthéon-Assas (thèse sur le coup d’État moderne) et titulaire du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat. Après trois ministères, elle a travaillé dix ans à l’Assemblée nationale, notamment en qualité de conseillère législative en charge de la prospective et du contrôle dans un groupe parlementaire. Elle est également enseignante à Sciences Po Paris, dispensant un cours sur les actualités et enjeux parlementaires.

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