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Qui garde madame LAGARDE par Philippe Simonnot

Philippe Simonnot est un économiste français. Docteur en sciences économiques à l’université de Paris X et de Versailles, il est l’auteur de nombreux ouvrages d’économie.


Christine Lagarde est apparue sur France 2 jeudi 4 juin au soir  telle une déesse distribuant des milliards d’euros de sa corne d’abondance, la Banque centrale européenne (BCE). Notre ministre de l’économie, Bruno Le Maire, se tenait coi, qui ne dispose plus comme autrefois de la planche à billets. C’est qu’il a besoin que la BCE rachète la dette de la France, sauf à faire courir à notre pays une hausse des taux d’intérêt qui lui serait fatale.
Mme Lagarde a le triomphe modeste. Au plan d’urgence déjà doté de 750 milliards d’euros à la mi-mar, viennent d’être ajoutés   600  milliards  d’euros, et le dispositif  sera prolongé jusqu’en juin 2021.  Aucune justification n’est donnée à cette incroyable, stupéfiante surenchère mais l’on devine aisément que Christine Lagarde reste encore aujourd’hui sous la pression des marchés. Souvenons-nous : en mars , interrogée sur la défiance entourant la dette italienne, elle avait répondu que la BCE n’avait pas pour « mission de réduire les spreads », soit l’écart entre le taux italien et le taux allemand de référence. Ce disant, elle se conformait aux statuts de la BCE et à son propre mandat. Mais après la réaction brutale des marchés,  elle avait dû très vite  rectifier le tir et mettre dans la balance les 750 premiers milliards. Si elle en rajoute aujourd’hui 600  milliards, c’est que le feu couve toujours sous la  braise ou/et que les premières centaines de milliards se sont déjà évaporé ! Horresco referens !
Pour faire bonne mesure, Mme Lagarde verdit son discours sous la pression du lobby écologiste. Elle rachètera en particulier les dettes vertes – comme si la BCE était experte en la matière. Sinistre plaisanterie !
Enfin, Madame Lagarde viole un peu plus chaque jour les statuts de sa propre banque malgré les sévères avertissements de la cour de constitutionnelle de Karlsrhue. A l’entendre, la Banque centrale qu’elle préside est « une institution européenne, responsable devant le Parlement européen et sous la juridiction de la Cour de justice de l’UE ». Comme ces deux instances ont donné leur blanc-seing aux errements de la BCE, on peut se demander qui garde Madame Lagarde ?
 
Cette question rappelle celle que posait Juvénal, ce satiriste romain, du ier siècle de notre ère, à propos  de la garde des femmes. Il supposait que leur lubricité était telle que les hommes préposés à leur garde céderaient tôt ou tard à leurs charmes. D’où la question fameuse  : Quis custodiet ipsos custodes ? Qui garde les gardiens eux-mêmes ? C’est bien pourquoi on employait des eunuques  pour cette charge.
Même dans ce cas, semble-t-il, les maris jaloux n’étaient pas tout à fait tranquilles…
Pour en revenir à Christine Lagarde, même si on trouvait un gardien, il faudrait encore le faire surveiller lui-même par un autre gardien digne de confiance, lequel  devrait être lui aussi contrôlé, et ainsi de suite. En fait la question est insoluble dans le domaine où agit Mme Lagarde, à savoir le domaine monétaire, puisque la monnaie n’a plus de base objective depuis l’abandon de toute référence au monde réel..
 
Au départ, l’orgie monétaire fait beaucoup d’heureux, même si le festin est limité aux acteurs et profiteurs du crony capitalism (capitalisme de connivence, lié à la planche à billets). Mais à terme, c’est l’hyper-inflation qui risque d’être la sanction.
 
Mirabeau déclamait devant l’Assemblée nationale à la fin de  1789 : « Quoi ? serait-il nécessaire de le dire ? On parle de vendre, et l’on ne fournirait au public aucun moyen d’acheter ! On veut faire sortir les affaires de leur stagnation, et l’on semblerait ignorer qu’avec rien on ne fait rien ; on semblerait ignorer qu’il faut un principe de vie pour se remuer, pour agir et se reproduire ! […]. C’est le numéraire qui crée le numéraire ; c’est ce mobile de l’industrie qui amène l’abondance ; […] jetez donc dans la société ce germe de vie qui lui manque ; et vous verrez à quel degré de prospérité et de splendeur vous pourrez dans peu vous élever[i]. » Ainsi furent créés les premiers assignats qui devaient aboutir  à une abominable banqueroute et à la Terreur.
[i]Collection complète des travaux de M. Mirabeau l’aîné à l’Assemblée nationale, tome IV, éd. Étienne Méjan, Paris, Devaux, 1792.

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